La Strafkompanie dévore son monde

D’un effectif qui va de 20 à 80 hommes, la Strafkompanie travaille sans arrêt à la carrière tous les jours de la semaine, montant et descendant depuis l’aube jusqu’au soir l’escalier interminable de la montagne, hotte de bois fixée au dos et, sur la hotte, une pierre qui pèse de quarante à cinquante kilos qu’il faut transporter à pied d’œuvre.

Des journées entières sous un soleil de plomb, les hommes gravissent les marches pour aller déverser leur chargement, à l’extrémité du terrain de sport, par exemple.

Parfois, lorsqu’ils arrivent au sommet de l’escalier, il leur est enjoint de laisser retomber la pierre puis de retourner la chercher en bas.

La Strafkompanie dévore son monde.

Deux tiers des condamnés ne tiennent qu’une semaine.

Pas d’importance ! Ce n’est pas le monde qui manque. […]

Le gros [des détenus de la Strafkompanie] est coupable des moins pardonnables offenses : ne pas s’être découvert devant un SS, n’avoir pas suffisamment marqué le pas, et ainsi de suite.

Il est facile d’entrer dans la Strafkompanie, mais presqu’impossible d’en sortir.

Raymond CHANEL, Médecin en enfer, propos recueillis par Michel Chrestien, Paris, Librairie académique Perrin, 1970, pp. 252-253