La transmission : la Mémoire érigée en projet éducatif.
"Je n’aime pas l’expression devoir de mémoire, le seul « devoir » c’est d’enseigner et de transmettre".
Simone Veil
La préoccupation centrale véhiculée par le devoir de mémoire a mis au cœur des pratiques et des apprentissages, avec les interventions des témoins en classe, la question du récit, celui qu’il faut écouter et analyser, voir et décrypter ; Et celui qu’il faut construire, de la part des élèves, pour exposer à leurs professeurs ce que l’on a retenu, pour se former soi-même et partager, le seul viatique qui demeure et sert l’édification de l’homme et la transmission comme le dit si bien cette légende hassidique rapportée par Annette Becker (Mémoire Demain , présentation du DVD de l’Union des Déportés d’Auschwitz, Lycée Louis Le Grand, Paris, 2011) :
« Rabbi Israël de Rishin resta dans sa maison, assis sur son fauteuil, et dit : « Nous ne savons plus allumer le feu, nous ne savons plus dire les prières, nous ne connaissons même plus l’endroit dans la forêt, mais nous savons encore raconter l’histoire ; Et l’histoire qu’il raconta eut le même effet que les pratiques de ses prédécesseurs. »
La transmission repose ainsi sur trois grandes interrogations.
Témoignage de Simone Veil
La valorisation du récit des témoins est un des faits marquants de la transmission donc de l’enseignement et de la compréhension de ce qui fait mémoire du groupe. Mais, autant de témoins autant de modalités pour dire ce qui a été vécu, certes avec un fond commun et partagé, mais aussi avec le talent propre à celui qui expose, avec ses insistances, ses lacunes ou oublis, la primauté du factuel ou la volonté d’aller au delà des faits pour tendre à la réflexion d’ordre philosophique. A la disposition des professeurs et des élèves, pour prolonger la parole des témoins qui disparaissent, il est possible d’utiliser un volume important de supports filmiques, qu’il s’agisse de fictions (« Lacombe Lucien » de Louis Malle, ou « Au revoir les enfants » du même cinéaste), de films de témoignages telle l’œuvre incomparable de Claude Lanzmann « Shoah », de documentaires, ou de DVD comme les projets proposés par l’Union des Déportés d’Auschwitz avec le DVD « Mémoire Demain » ou le site internet «Mémoires des Déportations », titre en lui-même susceptible de porter maintes réflexions. Quant à la production littéraire de biographies sur ces périodes, le choix est vaste, pour ne citer que les plus en vue ces dernières années, par exemple « Personne ne m’aurait cru, alors je me suis tu » de Sam Braun ( Entretien avec Stéphane Guinoiseau, Paris, Albin Michel, 2008, 265p), « L’espérance d’un baiser » de Raphaël Esrail, « Une vie » pour les mémoires de Simone Veil. La voie romanesque n’est pas à écarter car elle apporte aussi au récit une vision où les sentiments s’expriment dans tout le spectre des passions humaines. Cette offre requiert un travail pédagogique fin, rigoureux, pour utiliser l’œuvre dans le cours d’histoire. Les élèves se coltinent, avec leurs professeurs, cet exercice lors des devoirs, des sujets d’examens ou à l’occasion pour certains d’entre eux en participant au Concours National de la Résistance et de la Déportation (CNRD).
La question du récit entendu, visionné et approprié, celle autrement délicate de la mise en récit, permettent de pointer aussi ce qui distingue le récit historique du récit singulier ou collectif, au fond du lien entre histoire et mémoire. Cette question légitime a été formulée par Pierre Nora dans son introduction à la somme « Les lieux de mémoire » :
« Mémoire, histoire : loin d'être synonymes, nous prenons conscience que tout les oppose. La mémoire est la vie, toujours portée par des groupes vivants et à ce titre, elle est en évolution permanente, ouverte à la dialectique du souvenir et de l'amnésie, inconsciente de ses déformations successives, vulnérable à toutes les utilisations et manipulations, susceptible de longues latences et de soudaines revitalisations. L'histoire est la reconstruction toujours problématique et incomplète de ce qui n'est plus. La mémoire est un phénomène toujours actuel, un lien vécu au présent éternel ; l'histoire, une représentation du passé. Parce qu'elle est affective et magique, la mémoire ne s'accommode que des détails qui la confortent ; elle se nourrit de souvenirs flous, téléscopants, globaux ou flottants, particuliers ou symboliques, sensible à tous les transferts, écrans, censure ou projections. L'histoire, parce que opération intellectuelle et laïcisante, appelle analyse et discours critique. La mémoire installe le souvenir dans le sacré, l'histoire l'en débusque, elle prosaïse toujours." (Sous la direction de Pierre Nora, Les Lieux de mémoire , Tome 1, Paris, Quarto Gallimard, 1997, 1652 p.)
Histoire et mémoire seraient ainsi complémentaires pour dire une période, l’une nourrit l’autre en une réciprocité qui est accomplissement de la connaissance du passé, mais l’une, l’histoire, s’empare de l’autre pour en faire un objet d’étude et de recherche à part entière, ce qui fut le cas originel pour l’œuvre fondatrice de Philippe Joutard sur les Camisards ou ce qu’il a entrepris récemment sur les mémoires orales du canal de Suez. Avec l’entrée en force du témoignage comme source de connaissance, il est possible de considérer que, avec dans le même temps les orientations de la recherche historique (cf : Les lieux de mémoire), la mémoire est devenue en une vingtaine d’années un enjeu éducatif important dans les contenus programmatiques, en y associant les nombreuses autres sollicitations auxquelles enseignants et élèves sont soumis : commémorations officielles, journées dédiées, concours spécifiques. Faut-il pour autant parler de « devoir de mémoire » ou utiliser d’autres expressions comme « travail de mémoire », ou plus efficacement comme « travail d’histoire » ?
Le témoignage, en présence ou à distance est aujourd’hui une modalité de la pédagogie appliquée avec régularité dans les établissements. L’Union des Déportés D’Auschwitz sous la direction de Raphaël Esrail, bien avant la crise du COVID, a institué des interventions de rescapés des camps par le biais de vidéoconférences programmées dans les établissements. La parole du témoin doit faire, au plan pédagogique, l’objet d’une approche critique et ne pas se résoudre à l’émotion, bien compréhensible par ailleurs. Quelques hautes figures de la Résistance ont attiré l’attention, y compris de leurs pairs, sur la relativité et la fragilité du témoignage. Ainsi Pascal Copeau, ancien membre du Conseil National de la Résistance aborde sans détours la problématique lors d’un colloque :
« Je crois que c’est un peu le problème dont je voudrais parler brièvement, devant lequel nous nous trouvons et je voudrais, me tournant vers mes camarades de la Résistance, leur demander d’être un peu plus humbles devant la nécessité du choix de l’Histoire, car, de toute manière, il aura lieu. Ils peuvent bien récuser telle ou telle étude historique, mais ils ne peuvent pas empêcher que finalement ce qui restera dans l’Histoire, ce qui sera le compte rendu de ce qui a été fait ne correspondra pas à ce qu’ils auront cru faire, car, lorsque nous essayons d’écrire nos mémoires, nous nous apercevons bien que c’est bien difficile de retrouver une sincérité réelle et de ne pas reconstituer arbitrairement une sorte de justification a posteriori de notre action, que nous avons en fait inventée au fur et à mesure" (Intervention au colloque « La Libération de la France », Paris, Octobre 1974).
La propension aujourd’hui à ce que ce soit les enfants des disparus, victimes, combattants, qui interviennent en classe, pour prendre le relais des parents, soulève un problème a fortiori plus aigu : il ne va pas en effet sans difficulté à être témoin de témoin et porter ainsi un discours qui aura effet de véracité historique aux yeux des élèves. Il est préférable à bien des égards de s’inquiéter de ce que les élèves ont retenu et compris du cours d’histoire et du témoignage de première main, il y a des interrogations orales ou écrites, des examens à cette fin. Ce qui conduit à ne pas considérer tout autant que les élèves seraient, autre expression consacrée, des « passeurs de mémoire », en faisant peser sur eux une responsabilité exigeante et un rien vide de sens. Le but de l’éducation est de former des élèves instruits et éclairés, autonomes et responsables, convaincus de la portée des valeurs de la démocratie et de la République et capables de discernement dans l’usage des mots. Jean-Pierre Rioux ne dit pas autre chose à propos du Devoir de mémoire :
« Gardons-nous bien de vouloir en faire (les élèves), au nom d’une fidélité mémorable, de nouveaux témoins des témoins, des acteurs par défaut ou des Justes par prétérition. Contentons-nous, obstinément, de leur apprendre, individuellement et collectivement, l’impératif du Droit ; de faire vivre en eux la seule fidélité, la seule identité, le seul héritage dont l’École institutrice et républicaine a la charge : connaître et reconnaître, sans trêve et à raison "(Note aux corps d’inspection sur le Devoir de Mémoire, Paris, 1999 ) ».
Quant à la nature du récit, Georges Duby a pointé les ambigüités du travail de recherche et surtout d’écriture de l’historien, car si la victoire de Bouvines a eu un écho mobilisateur des enthousiasmes patriotiques jusqu’à l’époque contemporaine, cela tient au fait que le récit de la bataille a été entretenu par de multiples versions, instrumentalisé par les pouvoirs, pour maintenir le feu sous la cendre, là où l’exactitude du récit scientifique peut parfois laisser la place à la passion humaine, au nom d’intérêts dit supérieurs :
« Le point de vue sur le passé, la manipulation de la mémoire, par les gens qui successivement s’attellent à faire le récit du passé, ce n’est jamais innocent. Guillaume le Breton, quand il raconte Bouvines, ne le fait pas « objectivement » : sans doute parce qu’il ne peut pas le faire, mais aussi parce qu’il ne le veut pas. Et lorsque Michelet raconte Bouvines, il est très loin, lui aussi, d’être « objectif ». Veut-il vraiment l’être ? En tout cas, tous les autres, quelle que soit leur volonté de l’être, comme Thierry par exemple, quand ils racontent le passé, ne le sont pas davantage" (Le dimanche de Bouvines – 27 juillet 1214, Trente journées qui ont fait la France, Paris, Gallimard, 2005, 364p »).

Georges DUBY
Si la volonté d’ériger le Devoir de mémoire en morale civique est louable, force est de constater que le contexte politique et les mesures adoptées au fil des décennies jouent contre l’efficacité de son application et de ses effets, immédiats ou profonds. En premier lieu, à la suite de la Seconde Guerre mondiale les guerres violentes, les massacres et l’existence de génocides n’ont point été éradiqués et ont même pris une dimension accrue aux yeux des opinions publiques en raison de la progression des terrorismes de toutes natures et de la retransmission en mode mondialisé, parfois en temps réel, des actions violentes : la liste serait longue à retracer mais à l’évidence certains événements comme les massacres perpétrés par les khmers rouges au Cambodge, ou des Hutu envers les Tutsi au Rwanda relèvent de la qualification de génocide ; nombre de guerres durables ont provoqués des massacres de populations, suscité d’immenses mouvements migratoires eux-mêmes sources de conflits en Asie, en Afrique, en Amérique latine, dans les Balkans en Europe.
Le terrorisme contemporain ajoute en horreur en frappant les populations au cœur des villes. Le net regain des actes antisémites au sein des sociétés occidentales, notamment en France depuis l’automne 2023, comme dans tout le Proche-Orient renvoie aux pires années du XXè siècle. Cette violence accrue et non jugulée malgré le rôle des instances internationales rend caduque le souhait du « Plus jamais ça » exprimé au nom de l’indignation lors de manifestations de protestations. C’est une forme d’échec des leçons de la mémoire. A cela s’ajoute les ressauts des mémoires provoqués par les instrumentalisations à propos de la période du régime de Vichy, les références au Front populaire, à l’appel du 18 juin lors des campagnes électorales, les repentances diverses, l’émergence de courants identitaires (Les indigènes de la République) surfant sur le désarroi et la déshérence des populations jeunes des banlieues, les batailles de dates pour commémorer la fin de la Guerre d’Algérie. Tous ces faits créent un climat délétère propre à contrarier les idéaux et actions portés par le Devoir de mémoire, dont ils sapent les fondements.
La mobilisation des publics et surtout du monde enseignant devient complexe avec les sollicitations de plus en plus lourdes concernant les commémorations officielles. La frise chronologique ci-dessous souligne cette croissance, une accélération même depuis le début des années 1980, avec huit créations qui ressortent des événements de la Seconde Guerre mondiale. La journée d’hommage à Jean Moulin est davantage un usage qu’une cérémonie officielle.
On pourrait adjoindre à cette liste les mobilisations occasionnelles, telles les commémorations pour le Centenaire de la Première Guerre mondiale, les tentatives maladroites et échecs telle la proposition faite au début de son mandat par le président Nicolas Sarkozy de "demander au futur ministre de l'Education nationale que la lettre d'adieu de Guy Môquet soit lue en début d'année à tous les lycéens de France", ce qui déclencha une vive polémique. Pour sa part, le ministère de l’Education nationale a préconisé de porter une attention particulière à huit commémorations : 11 novembre, 27 janvier (initiative prise par les ministres de l'Education des Etats membres du Conseil de l'Europe en octobre 2002 ; l'Allemagne et la France ont choisi le 27 janvier, jour de la libération d'Auschwitz), dernier dimanche du mois d’avril, 8 mai, 10 et 27 mai. Outre l’inflation des mémoires – soit l’hypermnésie à partir des années quatre-vingt catégorisée par Henri Rousso (Le Syndrome de Vichy. De 1944 à nos jours, [1re édition, Seuil, 1987], 2e édition revue et mise à jour, Seuil) -, ce qui pose souvent problème réside dans le décalage entre la progression du traitement des programmes où sont abordés ces thèmes et les dates pour lesquelles les enseignants doivent se mobiliser autour de ces commémorations et encombrements de la mémoire; Cela exige au mieux des séquences spécifiques et presque « hors sol », pour le moins quelques rapides rappels. L’inflation a incité d’aucuns à proposer de rassembler les commémorations, les hommages aux victimes sur une seule date : lors de son mandat, le président Valéry Giscard d’Estaing avait suggéré à cette fin le 11 novembre, ce fut un échec. Le rapport demandé à l’historien André Kaspi et publié en novembre 2008 retenait trois dates fédératrices à l’échelle nationale (le 11 novembre, le 8 mai et le 14 juillet), les autres dates étant laissées au choix des collectivités locales, des départements et des régions. Ce rapport eut autant de succès que l’initiative présidentielle.
Ce faisant les modalités de la mise en scène ont considérablement évolué dans le temps, ce que l’on peut traduire par le schéma de synthèse suivant :
D’une certaine manière, la prise en compte de la mémoire dans les établissements scolaires de l’école primaire à la terminale des lycées, la mobilisation des enseignants et des élèves soulignent les évolutions de la notion de mémoire collective, du souvenir au Devoir de mémoire. Des générations d’élèves ont vendus des bleuets pour le 11 novembre, des timbres pour les gueules cassées et ont assisté aux cérémonies du 11 novembre ; D’autres, aujourd’hui, participent à des visites des sites mémoriels, font des voyages d’étude à Auschwitz, parfois controversés quand il s’agit d’élèves trop jeunes ou mal préparés ; Nombreux assistent à des récits faits par d’anciens résistants, des survivants des camps de concentration ou de mise à mort. Tout cela agrège des voies d’accès à un corpus de connaissances des faits d’une autre nature, au contact des témoins et des lieux.
Au cœur des actions éducatives, le Concours National de la Résistance et de la Déportation occupe une place à part depuis 1961, grâce à la volonté du ministre de l’Education nationale Lucien Paye et celle Louis François, Inspecteur général au sein de ce ministère. Au départ axé sur les seuls faits de la Résistance, le concours prend en compte la déportation et devient de facto le CNRD en 1965. A destination des élèves de troisième et de terminale, le concours s’ouvre progressivement aux autres niveaux du lycée selon les évolutions des programmes et options d’enseignement proposées (1982 pour la classe de première, 1995 pour celle de seconde). Signe des temps, de l’évolution lente des mentalités, il faut attendre 1991 pour que le premier sujet autonome sur la déportation et les camps nazis de déportation soit proposé, et 1995 pour que le terme « extermination » soit intégré. Chemin faisant le CNRD diversifie aussi les types de travaux que les élèves doivent réaliser (voir à cet égard « Les Héritiers », film de Marie-Castille Mention-Schaar, Paris, 2014, avec la participation du témoin Léon Zyguel). Néanmoins, cette belle réussite – près de 30 000 élèves participent aux épreuves chaque année -, soulèvent aujourd’hui quelques interrogations. Inévitablement il a fallu diversifier également les sujets, au point que certains d’entre eux, trop pointus, ne pouvaient en aucun cas correspondre aux contenus dispensés dans les cours dans des horaires contraints sauf à sacrifier d’autres parties du programme ou à rajouter des plages spécifiques, sans omettre que la progression dans le traitement des programmes ne coïncident pas nécessairement avec le calendrier propre au concours. C’est ici qu’intervient aussi le rôle, très important, des associations d’anciens résistants et déportés, des témoins, confrontés aux questions des élèves ; Mais ces témoins disparaissent, en outre les enseignants qui mobilisaient leurs élèves sont eux-mêmes progressivement partis à la retraite sans que le relais soit de facto pris par de nouvelles générations, plus éloignées des contextes de la guerre et de l’après-guerre que leurs aînés. La mobilisation des cadres de l’Education nationale permet ici ou là de maintenir encore un bon niveau d’inscrits, mais cela relève aussi et surtout de l’autonomie des établissements, de leur volonté d’engager leurs élèves dans ce concours, alors même que les sollicitations de ce type, dans d’autres disciplines, se sont multipliées depuis les dernières décennies. Le concours soulève d’autres questions, plus complexes :
- S’agissant des liens histoire-mémoire, on pourrait interroger le maintien du singulier dans le nom du concours, alors qu’il conviendrait d’exprimer les évolutions de l’historiographie en soutenant le fait que ce pourrait être le Concours national des résistances et des déportations ;
- Résistances et déportations ne concernent pas uniquement l’enseignement de l’histoire, or les autres disciplines susceptibles d’être intégrées à la réalisation de ce concours (philosophie, Lettres, Arts plastiques), voire la vie scolaire sont peu impliquées de cette démarche éducative, alors même que l’on prône de circulaire en circulaire les vertus du travail collectif de l’équipe pédagogique. C’est se priver d’apports et de regards différents et complémentaires ;
- Enfin, comment comprendre que la volonté de faire du Devoir de mémoire un enjeu moral de notre société, de notre système éducatif national soit portée pour ce dernier par un concours alors même que dans les programmes, soit les horaires sont insuffisants pour traiter des thématiques complexes, soit les modalités d’enseignement, le traitement des programmes, et surtout les examens ne permettent pas d’en évaluer les effets sur les apprentissages des élèves, de TOUS les élèves au moment où leur maturité s’accompagne d’un futur proche d’engagement dans la Cité ? Ainsi, comment, par exemple, appréhender la Shoah, les théories racistes et l’antisémitisme qui en sont à l’origine, puisqu’il est question dans le programme de terminale de « montrer » le processus menant au génocide des Juifs d’Europe », sans avoir la connaissance des sources et manifestations de ces phénomènes antérieurement à la Seconde Guerre mondiale, voire des réminiscences ou résurgences, des expressions crypto-idéologiques sous couvert d’antisionisme longtemps après sa fin ? Il ne s’agirait pas de faire de longs cours, mais de situer dans le temps quelques étapes majeures de l’antisémitisme européen, ou de l’émergence du racialisme à partir de pseudo-théories des races. Paradoxalement, c’est le texte d’accompagnement du programme de troisième qui souligne cette nécessité, bien en amont de la terminale, avec des horaires plus contraints et une maturité moindre des élèves, au sein du thème présenté comme suit : « Comment les génocides (arménien, juif et tzigane) ont pu se produire, en les replaçant dans un temps plus long que les deux conflits mondiaux et dans leurs contextes respectifs ». On peut s’en étonner.
Reste l’essentiel, à savoir la place de ces questions dans les savoirs dispensés à l’Ecole, du primaire à la terminale. Là aussi (voir l’introduction au sein des Parcours pédagogiques) les évolutions des programmes intègrent à la fois les apports de la recherche scientifique et les mutations des préoccupations politiques et sociétales, le tout étant de lier dans le temps des études, des contenus et des approches qui font que le « savoir raconter l’histoire » demeure un chemin souvent difficile.
Ce texte emprunte des éléments issus d’un article publié par Jean-Pierre Lauby dans les actes du colloque « Mémoires, valeur et transmission » (Deux volumes), Clermont-Ferrand, 23-26 novembre 2021, sous la direction de Florence Faberon, Corinne Benestroff, et Arnaud Paturet. Avec l’aimable autorisation des Editions Recherches sur la cohésion sociale, Clermont-Ferrand, mars 2024