Czestochowa : les Allemands ont procédé à une première vague de liquidation du ghetto

Les 21 et 22 septembre 1942, au moment de Yom Kippour, le Grand Pardon, les Allemands ont procédé à une première vague de liquidation du ghetto avec l’aide de leurs sbires ukrainiens[1] . La technique de liquidation était simple. Des gradés allemands délimitaient un périmètre au crayon sur une carte. Il était ensuite ordonné par hautparleur à tous les habitants de ce périmètre de sortir de chez eux pour se diriger vers la gare de Zawodzie où des wagons à bestiaux les attendaient en lisière du ghetto. Les gardes ukrainiens ne se donnaient même pas la peine de venir chercher les gens chez eux. Le travail des Allemands était méthodique. Cette première vague n’était donc pas une sélection à proprement parler, puisqu’il s’agissait de vider un quartier entier. Hommes, femmes, enfants, quel que soit leur âge, 5, 15, 30 ou 60 ans et plus : tous devaient partir, ou étaient assassinés sur place.

La rue Garncarska où nous étions logés se trouvait dans le périmètre de cette première vague de déportation. Nous avons dû descendre de chez nous pour nous diriger vers le lieu de rassemblement. C’est au moment de quitter notre logement du ghetto pour rejoindre la gare et les wagons de déportation que ma mère m’a enlacé de son unique bras sur le lit et m’a embrassé longuement comme pour me dire adieu. Que pensait-elle ? Que ressentait-elle ? Avait-elle le pressentiment que nous allions être séparés pour toujours ? A-t-elle voulu inconsciemment, avec ce baiser, me pousser vers la vie ? Autant de questions qui m’ont hanté tout au long des années…

À la suite de la fracture de ma jambe qui était encore récente, je boitais et lorsque nous sommes partis vers la gare de Zawodzie, je n’arrivais pas à suivre le rythme de ma famille. Autour de nous, les Ukrainiens abattaient ceux qui ne pouvaient pas avancer. J’essayais de progresser suffisamment vite pour qu’on ne me tire pas dessus, mais malgré cela, je restais en arrière. Je ne suis pas arrivé en même temps que mes proches à la gare. Une soixantaine de wagons attendaient le long du quai. Les Allemands avaient prévu trop juste. Il aurait fallu en prévoir une douzaine de plus pour pouvoir faire monter tout le monde. Mon père, ma mère, mon frère, ma grand-mère, mes tantes, mes oncles et leurs enfants sont tous montés dans un des wagons. Je me suis retrouvé seul, désespérément seul sur le quai.

Lors de cette première vague de liquidation, les 21 et 22 septembre, 7 000 Juifs avaient été déportés et gazés à Treblinka, 200 tués sur le champ car trop faibles pour supporter le transport, et 350 sélectionnés dans le ghetto pour rester travailler sur place. Ceux qui, comme moi, étaient restés sur le quai ont été reconduits dans le ghetto par une rue différente de celle par laquelle nous étions arrivés. Notre ancien quartier était en effet bouclé pour être définitivement nettoyé (liquidation sommaire des personnes sorties de leurs cachettes, ramassage des cadavres, pillage, etc.) Les produits du pillage étaient entreposés dans quelques maisons de la rue Garibaldi.

Je suis ainsi revenu dans le ghetto. J’avais 14 ans et je ne crois pas que je me faisais d’illusion sur ce qu’allaient devenir mes parents – peut-être savais-je même qu’ils seraient dirigés vers Treblinka… En tout cas, je savais une chose de façon certaine : autour de moi il n’y avait plus aucune des personnes que j’aimais. J’ai pleuré, j’ai hurlé de douleur ! Cela ne servait à rien. Des gens m’ont hébergé, je n’ai jamais dormi dehors durant cette période de liquidation du ghetto. On ne se refusait pas l’hospitalité face à tant d’adversité.

Quelques jours après le départ de mes proches, les 25-26 septembre, puis les 28-29, ont eu lieu deux nouvelles vagues de liquidation, accompagnées cette fois d’une sélection[2]. Tout en vidant de façon systématique et brutale un périmètre entier de ses habitants, les Allemands ont commencé à sélectionner ceux-ci et à les orienter dans deux directions différentes : certains vers les wagons, les autres vers un endroit inconnu, sans doute la Metallurgia, l’ancienne usine métallurgique reprise par Hasag. Je n’étais pas dans le quartier concerné.

[1] Après l’invasion de l’Ukraine, les Allemands avaient recruté des volontaires pour des missions de maintien de l’ordre. Ces Ukrainiens, volontaires pour les basses œuvres nazies, se montraient particulièrement haineux et violents envers les Juifs.

[2] Par haut-parleur, les Allemands affirmaient que les déportés précédents travaillaient dans des camps de travail à l’Est, dans de bonnes conditions. Ils promettaient à ceux qui partiraient volontairement un kilo de pain, de la confiture et de la soupe. Il y eut des volontaires.

Henri ZONUS, Je suis un miralculé, Paris, Le Manuscrit, Collection Témoignages de la Shoah, FMS, pp.65-67