Il nous fallait courir sous une rouée de coups

Le convoi, après un long arrêt à Hambourg, avait enfin atteint son terme. Par les vasistas, nous apercevions, dans une grande plaine morne et venteuse, le dos des baraquements verts déteints mais bien alignés. […] Nous apprîmes seulement que ce lieu sinistre s'appelait Neuengamme. Après une attente de quelques heures, les portes des wagons glissèrent enfin. Des SS alignés nous attendaient, la schlague au poing. A peine avions-nous sauté, tous engourdis par une immobilité de trois jours, il nous fallait courir, sous une rouée de coups. Malheur à ceux qui tombaient.
La route paraissait longue ; la cour, derrière les barbelés - l'Appelplatz -, immense ; nous la traversâmes au pas de course, jusqu'à un bâtiment de briques, à son extrémité, où l'on nous engouffra dans des caves.

Louis MARTIN-CHAUFFIER, L'Homme et la bête, Gallimard, Paris, 1947, p. 85