L'assassinat des Juifs à Belzec/ Témoignage 2

Au bout de quelque temps, je connaissais bien tout l'endroit. Il se trouvait au milieu d'une forêt de jeunes pins. La couverture forestière était dense, et pour réduire davantage la pénétration de la lumière, un arbre était attaché à un autre pour doubler la densité de la verdure autour de l'endroit où étaient les chambres. Plus loin se trouvait le chemin sablonneux où l'on traînait les cadavres. Les Allemands avaient tendu au-dessus un toit fait de fil de fer, et un feuillage avait été posé sur le fil. L'idée était de sécuriser l'endroit contre une observation depuis des avions. Cette partie du camp, sous le toit de feuilles, était ombragée, Du portail, vous entriez dans une cour énorme. Le grand baraquement où l'on rasait les cheveux des femmes se dressait dans la cour. À côté de ce baraquement se trouvait une petite cour entourée par une clôture de trois mètres de haut, faite de planches clouées fermement ensemble, sans la moindre fente. Cette clôture de planches grises menait directement aux chambres. De cette façon, personne ne pouvait voir ce qui se passait de l'autre côté. Le bâtiment contenant les chambres était bas, long et large, en béton gris, avec un toit plat couvert de papier goudronné, et au-dessus, un autre toit en filet couvert de feuillage. Depuis la cour, trois marches d'un mètre de large et sans rampe menaient à ce bâtiment. Un grand vase rempli de fleurs de différentes couleurs se trouvait devant le bâtiment. Sur le mur, il était clairement et lisiblement écrit : « Bade und lnhalationsräume ». L'escalier menait à un couloir sombre, d'un mètre et demi de large, mais très long. Il était complètement vide : quatre murs en béton. Les portes donnant accès aux chambres s'ouvraient à gauche et à droite. Les portes, en bois, d'un mètre de large, s'ouvraient en coulissant grâce à des poignées en bois. Les chambres étaient complètement sombres, sans fenêtres et complètement vides. On pouvait voir une ouverture ronde de la taille d'une prise électrique dans chaque chambre. Les murs et le sol des chambres étaient en béton. Le couloir et les chambres étaient plus bas qu'une pièce normale, pas plus de deux mètres de haut. Sur le mur du fond de chaque chambre, il y avait aussi des portes coulissantes, de deux mètres de large. Après l'asphyxie, c'est par là que l'on évacuait les corps. À l'extérieur du bâtiment, il y avait un petit abri, de deux mètres carrés peut-être, où se trouvait « la machine », un moteur à essence. Les chambres étaient à un mètre et demi au-dessus du sol, et au même niveau que les chambres se trouvait une rampe devant les portes, par laquelle les corps étaient jetés par terre.

Dans le camp il y avait deux baraquements pour l'équipe de la mort : un pour des ouvriers à tout faire et le deuxième pour les soi-disant ouvriers qualifiés. Chacun accueillait 250 ouvriers. Les couchettes étaient sur deux niveaux. Les deux baraquements étaient identiques. Les couchettes étaient des planches nues avec un petit panneau incliné sous la tête. Non loin des baraquements se trouvait la cuisine, et plus loin l'entrepôt, l'administration, la blanchisserie, l'atelier de couture, enfin le baraquement [plus] soigné des askars.

De chaque côté du bâtiment avec les chambres à gaz se trouvaient des fosses, vides ou pleines. J'ai vu des rangées entières de fosses qui étaient déjà pleines et recouvertes de sable. Il fallut un certain temps pour que leur niveau baisse. Il devait toujours y avoir une fosse vide en réserve ...

Je fus dans le camp de la mort d'août jusqu'à fin novembre 1942. C'était la période de l'asphyxie massive des Juifs. […] Les Juifs venaient de partout, et seulement des Juifs. Il n'y avait jamais aucun autre convoi. Belzec servit exclusivement à tuer des Juifs. Les Juifs étaient déchargés des wagons de marchandises par la Gestapo, des askars[1] et des Zugsführers[2] ; quelques pas plus loin, dans la cour, il y avait aussi des travailleurs juifs présents pour le déshabillage et ils demandaient en chuchotant: « D'où venez-vous ? ». On leur répondait tout bas : de Lwow, de Cracovie, de Zamosc, de Wieliczka, de Jaslo, de Tarnow, etc. Je vis ça chaque jour, deux, trois fois par jour.


[1] Gardes, auxiliaires de la SS, Ukrainiens et Lettons.

[2] Chefs des gardes, auxiliaires de la SS, nommés askars, généralement Ukrainiens et Lettons.

Rudolf REDER, "Témoignage devant la Commission historique provinciale de Cracovie (1946)", Aktion Reinhardt. La destruction des Juifs de Pologne, 1942-1943. I. Chroniques et témoignages, Revue d'Histoire de la Shoah, Janvier/Juin 2012, n°196, pp.69-71