Les camps ne sont pas tous identiques. Neuengamme, cité des Robots

Les camps ne sont pas tous identiques ou équivalents. L’univers concentrationnaire s’organise sur des plans différents. Buchenwald est une cité chaotique, une sorte de capitale pas entièrement construite, tenant du campement par ses quartiers hâtivement et sommairement plantés et son grouillement de vie.
[…] Neuengamme, au contraire, est strictement un centre industriel. De six heures du matin à six heures du soir, rigoureusement personne dans les Blocks, sauf quelques Kommandos à l’entr’acte de midi. La bureaucratie intérieure s’employant dans l’organisation « municipale » du camp réduite au minimum : un chef de Block et deux Stubendienst par bâtiment.
Les malades doivent être au Revier ; qui n’est pas accepté doit travailler, y compris les aveugles et les sourds-muets. Les blessés, les faibles, les vieux, tous ceux qui, à Buchenwald, restent dans les baraques, sont catalogués à Neuengamme « travail léger », et envoyés fabriquer des cordes, ou dans un des services du camp (cuisine, pluches, désinfection, magasin, cordonnerie). Cette application de tous au travail s’inscrit dans l’architecture du camp. Une structure rigoureuse, des lignes simples et nues. L’étagement des Blocks sur l’aile gauche de la place centrale bétonnée dans un alignement sévère, le Revier, les douches, la cordonnerie, le magasin sur l’aile droite ; au fond, les cuisines et la nouvelle bâtisse qui devait, en principe, loger les ouvriers de la Metallwerk et du Messap. Au-delà, et rayonnant autour du camp, du chenal et du port, les chantiers en pleine extension avec la Klinker, les usines et l’industrie, les péniches chargées de briques, de ciment, de pierres de démolition venant de Hambourg, les rails qui s’entre-croisent avec leurs charroiements de wagonnets poussés par les hommes ou traînés par la machine ; ici, les fondations d’une nouvelle fabrique ; là, entre des monticules de sable et de briques, de larges tranchées à demi remplies d’eau où les détenus pataugent et posent des canalisations ; plus loin, la gare et les jardins, et, au-delà, les chiens et les gardes, des champs et des fermes, une immensité plate. Le rythme du travail est rapide, cadencé par les SS toujours présents, toujours en inspection. Neuengamme, précis et provincial, est la cité des Robots.

 

David ROUSSET, L’univers concentrationnaire, Paris, Editions de minuit, 1965, pp. 38-41