Libéré au camp Hasag de Czestochowa

En juillet 1944, en raison de l’approche des Soviétiques, les Allemands décidèrent d’évacuer vers l’ouest les détenus juifs qui avaient survécu dans les camps de Pologne. La compagnie Hasag organisa ces transferts en fonction de l’emplacement de ses autres usines.

À Skarzysko, certains, sans doute trop faibles pour ce transfert, ou qui avaient tenté de s’enfuir, furent exécutés sur place. Je me souviens qu’on entendait des tirs qui nous inquiétaient beaucoup. D’autres furent transférés en Allemagne, notamment à Leipzig (des femmes), où se trouvait le siège de la compagnie, d’autres à Buchenwald. Certains, comme moi, furent transférés, dans le courant du mois d’octobre 1944, dans l’ouest de la Pologne, dans ma ville natale de Czestochowa où Hasag avait implanté trois usines de munitions. Enfin, comme je l’apprendrai plus tard, certains restèrent encore quelque temps après notre départ, pour être à leur tour transférés en Allemagne. […]

Début janvier 1945, nous avons entendu les appels des Allemands nous intimant l’ordre de nous rassembler pour sortir du camp. Des groupes ont commencé à partir, encadrés par des sentinelles en armes, en direction de l’Allemagne, vers Buchenwald. Parmi eux se trouvaient Georges Kestenberg et Willy Fogel dont je ferai connaissance après la guerre à Paris et qui deviendront mes amis. Les malheureux allaient encore passer quatre mois au camp de Buchenwald avant d’être libérés par les Alliés, en avril 1945. Les Allemands ont ainsi peu à peu déserté les lieux en emmenant les détenus, qui, je l’ai appris plus tard, ont fait partie de la terrible « marche de la mort », exécutés sans merci s’ils ne pouvaient plus marcher, ou morts de faim et surtout de froid. Il est difficile à présent de se rendre compte de l’impression de fin d’un monde en folie que l’on pouvait ressentir alors, de l’ultime cruauté des Allemands au moment même où l’Allemagne nazie s’écroulait…

Comme je n’étais affecté à aucun des groupes en particulier, je suis resté caché dans une baraque. Je n’avais aucune idée de ce que l’on ferait de nous une fois dehors, aussi j’ai ignoré tous les appels, et, sans vraiment le vouloir, je suis resté. Vers la mi-janvier 1945, il était clair que les Allemands s’étaient enfuis, mais j’ignorais quelle était la situation exacte. Je suis entré dans une baraque où des Allemands avaient été logés. Il y restait un peu de nourriture et d’alcool. Bien involontairement, je me suis soûlé en buvant de la vodka ! Le lendemain, c’était le 17 janvier 1945, les Soviétiques entraient dans le camp et nous libéraient. Je cuvais ma vodka et, durant quelques heures, je n’ai même pas su que nous étions libres !

À peine libéré, j’ai voulu revoir ma maison dans le ghetto. Comment décrire mon désespoir devant cette habitation désertée, silencieuse, sans aucun signe de vie ? J’avais à peine 17 ans, j’étais orphelin, je me sentais abandonné, anéanti… Après tant de souffrances, je me retrouvais seul au monde, sans rien ni personne. Je ne savais pas quoi faire ni même où aller. Un désespoir indicible m’a submergé et j’ai pleuré des jours durant. Lorsque j’y repense, je pleure encore. […]

Lors de ma libération en janvier 1945 au camp de Czestochowa, la guerre n’était toujours pas terminée. Aucune prise en charge n’était proposée aux détenus libérés des camps. Je n’avais pas encore 17 ans. Orphelin, sans famille, seul, je ne savais que faire ni où aller. Des responsables de la communauté nous ont conseillé de nous rendre à Lodz, grande cité industrielle polonaise tout juste libérée par les Soviétiques 1 . J’ai quitté Czestochowa avec un petit groupe de Juifs tout aussi perdus que moi. Nous avons pris le train en direction de Lodz, à environ 120 kilomètres au nord.

À Lodz, j’ai fait la connaissance de David, de deux ou trois ans plus âgé que moi, un petit blondinet. Sa famille avait disparu comme la mienne, aussi je l’ai rapidement considéré comme mon frère. [….]

Henri ZONUS, Destin d'un miraculé, Paris, Le Manuscrit, Collection Témoignages de la Shoah, FMS, pp.111, 113-114, 119-120