Travaillez avec les yeux !

Une consigne que les prisonniers, quelle qu’en fût la nationalité, se passaient sous le manteau et observaient, parfois même en connivence avec les Kapo, était : Travaillez avec les yeux ! En vertu de ce précepte, nous nous démenions et donnions le spectacle d’une activité débordante lorsqu’apparaissaient, en un point du chantier, quelques surveillants SS, accompagnés de leurs chiens-loups tenus en laisse et toujours prêts à bondir, ou quelque ingénieur civil flanqué de deux ou trois officiers. Un geste, un sifflement discret transmis de camarade à camarade, courait d’un bout à l’autre du chantier et nous mettait tous en état d’alerte. Alors, pelles de ferrailler, pioches de cracher le feu, brouettes de courir…C’était l’atelier de Coppelius s’éveillant à la rentrée du maitre sorcier. Mais l’intrus avait-il tourné le dos, toute la machine retombait dans sa somnolence ou s’arrêtait brusquement.

 

 

 

Maurice DELFIEU, Récits d’un revenant, Mauthausen-Ebensee 1944-1945, Publications de l'Indicateur universel des PTT, 1946 et 1947, pp. 82-83