Varsovie (12-13 octobre 1940) : le haut-parleur a annoncé le partage de la ville en trois parties

Mon cher,

[...] La journée d'aujourd'hui 12 octobre fut terrible. Le haut-parleur a annoncé le partage de la ville en trois parties: un quartier allemand, comprenant le centre et la rue Nowy Swiat ; un quartier polonais; et un quartier juif. Avant la fin d'octobre, tous excepté les Allemands doivent déménager dans le quartier qui leur est assigné, sans emporter leurs meubles. Mélancolie noire dans notre cour. La propriétaire de la maison a vécu ici trente-sept années, et maintenant elle doit abandonner son mobilier. On dit qu'un commissaire de police, témoin d'une attaque des étudiants de l'école Konarski contre les Juifs, sauta du tramway et les poursuivit, tirant en l'air. Je ne sais pas comment cela s'est terminé.

140000 Polonais habitent le quartier assigné aux Juifs. 60000 Juifs habitent ailleurs. [...]
Ce dimanche 13 octobre a laissé une impression particulière. Il est maintenant certain que 104000 Juifs du sud de Varsovie et de la banlieue de Praga devront abandonner leurs maisons et aller vivre dans le ghetto. Les Juifs ont été expulsés de tous les faubourgs, et 140000 chrétiens devront quitter le quartier du ghetto. On ne sait pas encore quel sera le sort des commerces chrétiens. Déménagement de meubles du matin au soir. Les gens assiégeaient en foule le Conseil juif, cherchant à savoir quelles rues allaient être comprises dans le ghetto. On dit qu'un groupe de professeurs «assimilés» a demandé aux 25 inspecteurs polonais leur aide contre les Juifs qui voulaient introduire l'enseignement du yiddish dans les écoles primaires. Les portefaix 1 ne laissent passer aucune occasion de gagner de l'argent. Après avoir fermé la maison du 31, rue Dzielna, Ils jetèrent les affaires par la fenêtre. Les portefaix fermèrent les portes et exigèrent 2 ou 3 zlotys par objet récupéré. L'expulsion des Juifs des faubourgs et de Praga signifie leur ruine complète; certains n'ont même pas de quoi déménager. Certaines familles ont de grands ennuis avec leurs domestiques chrétiens ... Ils ne peuvent pas être congédiés sans l'autorisation du bureau du travail, et font ce qui leur plaît. Il y a eu des cas de bonnes à tout faire mettant les affaires de leurs patronnes. Les chrétiens qui vivent sur les rives de la Vistule et travaillent dans les sablières disent qu'ils ne partiront pas, même si le sang coule. La journée d'aujourd'hui fut terrible: le spectacle de Juifs emportant leurs vieux chiffons et leur literie faisait une pénible impression. Malgré l'interdiction de transporter des meubles, certains Juifs 1'ont fait. Certaines charrettes transportant des meubles ont été arrêtées et emmenées.

Emmanuel RINGELBLUM, Chronique du Ghetto de Varsovie, Traduit de l'anglais par Léon Poliakov, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1995, pp.