Les rapports étaient d’une brutalité inouïe mais ils étaient vrais

La brutalité du système broyeur, c’est que cela générait la brutalité, les « rapports sociaux » à l’intérieur du camp étaient d’une brutalité inouïe. A partir d’un certain degré, c’était le seul endroit où on pouvait dire à un type « t’es un con » en le regardant dans les yeux. Dans la société « normale », ce qui m’a frappé, c’est que l’on mentait tout le temps, au camp on ne peut pas mentir, la politesse est déjà un mensonge, c’est obligé car on ne pourrait pas vivre. Mon image c’est qu’on était plongé dans un bain d’acide sulfurique, on était réduit au vrai, les rapports étaient d’une brutalité inouïs mais ils étaient vrais, « si tu commences à dire cela, tu vas crever ». Quand tu avoues ta faiblesse à toi-même, c’est que tu as passé la limite de la résistance. Il y avait donc la brutalité du système et la brutalité des rapports internes.

Quand tu as faim, c’est la loi de la jungle, sans la trêve de l’eau : dans Kipling, quand la sécheresse arrive, c’est la trêve, mais dans le camp, pas de trêve, aucune !

 

Pierre SAINT MACARY, extrait du CD Rom, Mauthausen pour mémoire de Roy Lekus, 1995, Les Films d'ici / Amicale de Mauthausen / France 3 / ORF, 52 mn (20.21 – 17.40)