Dans les hauts parleurs, on entendit la voix de Hitler

Vers dix-sept heures, un long coup de sifflet, puis le son de la cloche annoncèrent la mise en formation pour l’appel. Les hommes furent comptés en un temps record. La garde sur les tours fut relevée plus vite que d’habitude. Puis, comme déjà la nuit commençait à tomber, les projecteurs s’allumèrent. Un faisceau de clarté fut dirigé sur le drapeau à croix gammée qui flottait au-dessus de la grande porte et un ton de clair de lune, étendu sur toute l’Appellplatz, vint accentuer la pâleur des hommes.

L’appel était terminé, les casquettes remises sur les crânes rasés, mais tous les détenus restaient au garde-à-vous. On attendit encore tandis que, peu à peu, le ciel se faisait plus sombre et la lumière plus vive.

De part et d’autre de la porte du camp, les SS, en grand uniforme, se rassemblaient en foule compacte et bruyante tandis que, tout autour de l’enceinte, les sentinelles, perchées sur leurs miradors et revêtues d’un grand manteau, veillaient. Debout sur le rempart reliant les deux tours, le groupe des officiers, en tenue d’apparat, se tenait à l’abri du froid et contemplait le spectacle...

Tout à coup, sans qu’on sût d’où venait le signal, le silence se fit. [...]

 – Achtung ! Mützen ab !

Les hommes firent claquer les talons, redressèrent la tête et, d’un même geste, ôtèrent leur calot de bagnard. Presque aussitôt, les haut-parleurs furent branchés et il s’en échappa une multitude de bruits confondus dans une sourde rumeur. Puis vint, de partout à la fois, le fracas assourdissant d’une marche militaire. Il y eut encore un temps mort et, soudain, ce fut l’explosion des cris frénétiques qui très loin à Berlin, saluaient l’apparition au podium du Führer, chancelier du Grand Reich allemand. Enfin après un nouveau silence, on entendit la voix d’Hitler. Une voix rauque, poussée à son extrême diapason, dont l’éructation, hachée de hurlements et de bravos qui se répercutaient en rafales, faisait penser à un aboiement.

Sur l’Appellplatz, six mille détenus, rangés comme des pions, dans une immobilité de statue, écoutaient. Dominés par l’encadrement de la force SS, transis, claquant des dents, ils écoutaient ce discours auquel, pour la plupart, ils ne comprenaient rien.

La nuit était maintenant venue et, sur le fond d’un ciel criblé d’étoiles, les deux tours de granit se détachaient ainsi qu’un décor d’opéra.

Jean LAFFITTE, La pendaison, Paris, Julliard, 1983, pp.140-141