Et, de nouveau, les matraques s’abattirent sur nos reins

Nous reçûmes l’ordre de descendre l’escalier devant lequel nous étions rangés. Nous nous trouvâmes dans une salle où s’agitaient de nombreux détenus semblables à ceux que nous venions d’apercevoir. On nous fit entasser nos bagages d’un côté, nos vêtements de l’autre. Et le pillage commença d’une façon méthodique. Les poches étaient retournées, les vêtements en bon état mis de côté, les valises éventrées, les vivres et les boites de conserves soigneusement entassées à part. Le tout s’effectuait sous la surveillance des SS qui ne s’intéressaient qu’aux objets en or : bagues, montres, étuis à cigarettes. Ils les inscrivaient sur un registre et empochaient ceux qui leur plaisaient [...].

Nous remontâmes quatre à quatre le petit escalier. Toujours entièrement nus, nous fûmes alignés sous la neige qui continuait à tomber. Beaucoup d’entre nous avaient les reins zébrés par les coups.

Nous restâmes ainsi une demi-heure, attendant les sabots qui nous étaient promis. Nous commencions à éternuer et à tousser. Ce qui nous valut un :

- Ruhe ! Scheiss Franzosen ! (silence, Français de merde !) d’un gardien, la matraque menaçante. Après la douche chaude que nous venions de prendre, le froid se faisait encore plus atroce. Il nous serrait la nuque, nous contractait le ventre.

Une voiture à bras déversa enfin les sabots. Nous nous précipitâmes. Dans tous, les clous dépassaient. Nous y déchirâmes nos pieds. Et, de nouveau, les matraques s’abattirent sur nos reins. Nous nous mîmes à courir aussi vite que possible. Ceux qui parvenaient à prendre un peu d’avance se déchaussaient. Les moins forts tombaient et les matraqueurs s’acharnaient sur eux.

Nous arrivâmes enfin à un Block dont la porte était ouverte. Nous y entrâmes. Nous étions dans une grande salle qui servait de bureau au Blockältester (chef de Block), au Blockschreiber (secrétaire de Block), au Blockfriseur (coiffeur) et à deux ou trois autres personnages importants. Un énorme poêle chauffait la salle.

Sur une porte, au centre d’une cloison, était écrit Schlafraum (dortoir).

A coups de trique, le chef de Block, un colosse énorme, nous aligna en file indienne. Comme nous étions plus d’une centaine, notre file faisait plusieurs fois le tour sur elle-même, comme un serpentin.

Un par un, nous passions devant le Schreiber qui inscrivait notre nom et notre profession sur une fiche portant le numéro matricule qui nous était destiné. Un Stubendienst nous jetait un caleçon et nous entrions dans le dortoir que dirigeait le chef de chambre.

Paul TILLARD, Mauthausen, Paris, Editions sociales, 1945, pp.14-17