La maladie la plus répandue était la dysenterie

Pour être admis, il fallait passer une visite médicale contrôlée par un docteur SS. Les  détenus qui se présentaient étaient vraiment à bout de force. Pourtant, beaucoup d’entre eux étaient refusés. Il ne suffisait pas d’être exténué ; il fallait une maladie précise : pneumonie, bronchite, dysenterie, etc. Ceux qui n’avaient aucun mal caractérisé devaient retourner au travail. C’est pourquoi on voyait couramment à la carrière des hommes tomber morts de fatigue.

La maladie la plus répandue dans le camp était la dysenterie connue sous le nom de Scheisserei, elle était une conséquence normale de l’affaiblissement organique. Pour un organisme débilité, la soupe de rutabagas avait une influence désastreuse sur les intestins. L’homme encore fort pouvait enrayer le mal en se privant de soupe pendant deux ou trois jours, ce qui nécessitait une sérieuse force de caractère. Mais pour la plupart des déportés atteints, il n’y avait plus d’espoir. Lorsqu’il mourait, il y avait déjà deux ou trois jours qu’il ne pouvait plus faire aucun mouvement. Les moribonds restaient ainsi, n’ayant plus la force de bouger, se chiant les uns sur les autres. Tous ces hommes souillés dégageaient une épouvantable odeur. En été, à cinquante mètres des Block, l’air était empuanti.

Les malades atteints de phlegmon étaient aussi nombreux que les dysentériques. Ces maux étaient également caractéristiques des camps de concentration : ils avaient les coups pour origine. Un coup asséné à un homme normal occasionné au minimum un « bleu », c’est-à-dire un engorgement de sang à l’endroit frappé. Un organisme vigoureux résorbe cet engorgement. Chez un détenu, cette résorption ne pouvait plus se faire. Le sang pourrissait. La partie atteinte prenait des proportions énormes. Une opération s’imposait. Il fallait ouvrir le phlegmon pour en extraire le pus.

Les opérations avaient lieu dans un coin du Block. Les patients étaient allongés sur des tables. Les antiseptiques étaient rares, les instruments de chirurgie archaïques. Les pansements étaient effectués avec des bandes de papier. Ce procédé aurait pu être suffisant si les pansements avaient été renouvelés fréquemment, chose impossible étant donné le nombre de malades. Les bandes de papier se déchiraient, le pus les traversait, se répandait sur les paillasses et souillait les voisins du lit. De toute cette putréfaction, se dégageait une odeur âcre qui surpassait encore celle des Block des dysentériques.

Les autres maladies étaient de formes courantes. Parmi elles, les maladies de poitrine, bronchites, pleurésies, congestions pulmonaires, provoquées par les refroidissements contractés au cours du travail, à la carrière, ou sous les douches glacées des chefs de Block, dominaient. 

La mortalité était effrayante, comme il se conçoit.

Paul TILLARD, Mauthausen, Paris, Editions sociales, 1945, pp.60-61