Le bétail sur pied pourra toujours faire le chemin qui le sépare du four crématoire (Ebensee)

Il faut désigner les hommes d’un « transport ». Il faut choisir les cinq cents hommes les plus faibles et les plus malades du camp pour les renvoyer à Mauthausen. Ils seront remplacés, nombre pour nombre, immédiatement, par des hommes en meilleur état qui doivent arriver demain. Tant que le four crématoire n’est pas terminé, il est plus facile de faire voyager, en wagons de marchandises, le bétail sur pied, faible certes, mais qui pourra toujours faire le chemin qui le sépare du four crématoire tout seul, que de transporter en camions cinq cents cadavres. Tout, on le voit, se résume dans ce cas à un simple problème de transport.

C’est Jobst, le médecin-chef, qui préside à la cérémonie du choix. […] Vieux, éclopés de toutes sortes, porteurs d’ulcères et de suppurations traînantes, fantômes à l’allure trébuchante défilent sous l’œil calme et attentif du chef : œil infaillible. Il ne fait que deux gestes, il ne prononce que deux mots. Il désigne la droite en disant « Bleibt ! » et les intéressés vont rejoindre la masse de ceux qui ne sont pas encore assez usés pour ne pas travailler ; ou bien il déclare « Weg ! » en montrant la gauche, et les malheureux, happés par des secrétaires qui notent aussitôt leurs matricules, vont se perdre dans les rangs de ceux qui, tout à l’heure, solidement encadrés, vont être enfournés dans un Block libre avant de partir demain vers Mauthausen, c’est-à-dire, pour 80 % d’entre eux, vers la chambre à gaz. 

François WETTERWALD, Les morts inutiles, Paris, L'Harmattan, 2009, pp. 111-112