« Pieta ! commandante ! Pieta ! »

Un jeune Italien de dix-huit ans fut pendu en décembre 1944. Il travaillait dans un Kommando hors du camp. Il avait réussi à se cacher dans une baraque, certainement pour se préserver du froid, et il avait manqué le rassemblement à la fin du travail. Les autorités nazies le soupçonnèrent de tentative d’évasion. Le motif était suffisant.

L’exécution eut lieu après l’appel du soir. Les cinq mille détenus étaient encore massés par Block. Ceux des Block de tête durent se coucher sur la terre couverte d’une neige durcie par le piétinement et le gel ; ceux du centre s’assirent ; les deniers restant debout. Tout le monde pourrait ainsi jouir du spectacle de la potence, une poutre clouée aux troncs de deux grands sapins.

Une dizaine de SS s’alignèrent devant nous, la mitraillette braquée, tandis qu’un groupe de détenus achevait les préparatifs de l’exécution en plaçant sous la poutre une table surmontée de deux tabourets. Il ne se passait guère une semaine sans qu’une cérémonie analogue nous fût offerte. L’habitude émousse la sensibilité. Nous étions devenus indifférents.

Laurence, chef de camp après Magnus, spécialiste des pendaisons, grimpa sur l’un des tabourets, l’Italien grimpant sur l’autre. Mais au lieu de lui passer le nœud coulant autour du cou, Laurence lui attacha les poignets. Puis il redescendit. Les tabourets et la table enlevés, le jeune homme resta suspendu par les mains, tournant sur lui-même comme une toupie, les pieds à un mètre du sol.

Julius Gans, commandant SS du camp apparut alors, tenant en laisse deux énormes chiens policiers. A dix mètres de la potence, il les détacha. Les chiens ne firent qu’un bond sur l’enfant qui hurla. Un instant ils restèrent suspendus par la gueule aux jambes du malheureux, puis lâchèrent prise et retombèrent sur le sol. Gans les excitait de la voix et du geste. Les bêtes bondissaient à nouveau.

Le supplice dura un long moment. Le cigare au bec, Gans tournait autour de la victime. L’enfant gémissait, un long sanglot qui nous tordait le cœur :

Pieta ! commandante ! Pieta ! (Pitié ! commandant ! Pitié !)

Maupeou était assis à côté de moi. Il s’agenouilla, les mains jointes crispées sur son ventre. Il était encore plus pâle qu’à l’accoutumée, le visage tendu vers le torturé dans une expression de communion totale. Ses lèvres bougeaient.

Un coup de feu claqua. D’une balle de revolver, Gans avait terminé son œuvre. Les chiens, bavant le sang, le suivirent à pas lents, la gueule sur ses talons. L’enfant se balançait au bout de sa corde, les pantalons déchirés et sanglants. Un pied manquait à l’extrémité d’une jambe.

Paul TILLARD, Mauthausen, Paris, Editions sociales, 1945p. 68