Le 23 mai 2023 une belle et sensible cérémonie s’est déroulée à l’amphithéâtre du Mémorial de la Shoah, pour rendre un hommage à la mesure de la personnalité de notre camarade Elie Buzyn, disparu jour pour jour il y a un an. Plusieurs orateurs se sont succédé au pupitre évoquant les facettes de la pensée et de l’action généreuse et féconde de notre ami. Victor Perahia pour l’UDA a évoqué son activité de témoignage. Sont intervenus ensuite Jean-François Guthman, président de l’OSE, le grand-rabbin de France Haïm Korsia, le docteur Jacques Wrobel. Un très bel intermède musical et poétique yiddish qu’aimait beaucoup Elie, interprété par Nathalie Wexler et son ensemble, soulignait ces propos. Et la jeune Hortense a lu à l’assistance la lettre de Sarah à Elie. La clôture de la cérémonie s’est effectuée sur les mots d’Agnès, Emmanuel et Gaël, les enfants de notre regretté Elie.

Nous reproduisons ici le discours prononcé par Victor Perahia lors de la cérémonie.

« Mon très cher Elie, je t’ai bien connu à l’Union des Déportés d’Auschwitz. Je concentrerai mon propos sur trois aspects de ta vie.

D’abord, une enfance heureuse détruite par un chagrin insurmontable. Tu es né en 1929 à Lodz, dans l’Ouest polonais, et pour te citer « dans une famille prospère, peu religieuse mais imprégnée de culture juive ».

Un pays particulier, cette Pologne rayée de la carte à la fin du 18e siècle pour renaître le 11 novembre 1918. Ton père est industriel du textile, et ta famille, depuis toujours attentive à la situation des Juifs pauvres, se mobilise pour l’accueil de ceux qui fuient l’Allemagne.

Malgré l’orage qui gronde, tu te souviens d’une petite enfance heureuse dans une fratrie de trois enfants et tu nous as dit souvent que c’est une condition essentielle pour être fort dans la vie.

Mais après, que d’épreuves traversées ! Je me limite au début de la guerre après l’écrasement du pays et la création à Lodz d’un ghetto immense, réservoir d’une main d’œuvre réduite à l’esclavage où tu passes plus de quatre années interminables. Tu as toujours dit ton impuissance à reconstituer le climat de violence et de meurtre, de chaos et de férocité, instauré par les nazis.

Et cette soirée du 7 mars 1940, quand ton quartier est vidé de ses habitants Juifs par les SS, et que parmi les 300 personnes arrachées à leur maison, ils désignent, au hasard pour les fusiller afin que règne la terreur, trois personnes dont ton frère aîné, Avram : un chagrin pour toujours, une peine insurmontable.

Ensuite, la réparation de soi par la réparation d’autrui. Longtemps après, dans un autre monde, tu deviens médecin, par vocation. Après le bouleversement de la Shoah et un détour au sein de la Hagannah. Un chirurgien orthopédiste qui avait eu les pieds gelés au camp de Buchenwald, gelés mais sauvés de l’amputation.

Tu as souvent dit ou écrit que toi, qui n’a pu voir vieillir tes parents, tu as défini ta pratique et ton éthique en étant guidé par les expériences de la guerre.

Tu es à la fois le blessé et celui qui soigne les blessures. Tu vises la réparation pour ceux qui dans leur chair et leur esprit ont souffert de la blessure et de l’iniquité. Une double perspective de réparation de soi et d’autrui. Un humaniste qui prend soin des personnes âgées, qui écoute les refus de transfusion de sang pour les limiter, ou qui prend en charge dans une unité psychiatrique des patients drogués qui désirent retirer leurs tatouages. Un chirurgien qui reconstitue et pour lequel il est toujours préférable de « remettre en état de marche plutôt que procéder à l’ablation d’un organe ».

Enfin, un passeur de mémoire pour la Jeunesse. Je me souviens de ta participation régulière à la commission chargée des témoignages de l’Union des Déportés d’Auschwitz que je préside ; tu y viens régulièrement. Nous nous distribuons les témoignages et nous rendons compte de nos interventions. Tu as commencé à témoigner comme beaucoup d’entre nous, une fois à la retraite et poussé par tes enfants. Dans le même temps, tu es membre du Conseil d’administration de notre Association. Nous allons mettre en ligne une interview inédite de toi que nous possédons dans nos fonds. Un témoignage de plus de trois heures, réalisé le 3 janvier 2011.