Le retour à la vie
« Sitôt que je suis arrivé en France, probablement parce que je n’avais pas reçu l’accueil espéré, parce que je n’ai pas ressenti la chaleur humaine dont j’avais tant besoin, parce que, aussi, j’avais le sentiment de ne susciter aucun intérêt auprès des Français, très vite, je me suis enfermé dans ma coquille ».
Sam Braun, Personne ne m’aurait cru, alors je me suis tu, Albin Michel, Paris, 2008
Le retour à la vie est-elle une expression adaptée quand il s’agit de revenir du pire qu’un être humain puisse concevoir, quand on a perdu une partie de sa famille, de ses proches et amis devant les mitraillettes des exécutions de masse, dans les salles de gazage et fours crématoires, dans l’épuisement des travaux forcés, quand on a été spolié de ses biens et de son passé ? Le retour à la vie est d’abord un destin, celui d’avoir échappé à la mort, bien que celle-ci hante à jamais l’esprit des survivants.
Le retour à la vie a nécessité de surmonter les meurtrissures de corps affaiblis, de souffrances morales immenses, de supporter les transferts à partir des camps, de trouver un refuge quand le chez soi n’existe plus, cela dans une ambiance de fin de guerre et de chaos partout présente malgré les réjouissances bien légitimes des populations libérées et soulagées d’en avoir fini, elles, avec le cauchemar. La shoah prend corps avec la découverte des camps, elle devient une part constitutive de l’âme des rescapés, la mémoire de six millions de Juifs assassinés sur dix qui étaient présents dans les territoires occupés par les nazis, où ont été implantés les multiples lieux d’internement, de concentration et d’exécution programmés par les nazis, trop souvent avec la complicité de régimes autochtones.
Il a fallu reprendre le fil des jours et redonner du sens à ce qu’il restait de vie en soi, laissant la nuit aux réminiscences et épouvantes des camps. La solidarité du groupe, des organisations publiques et privées ont apporté souvent abri et réconfort, ont mis en place des structures d’accueil. Progressivement, il s’agit de retrouver une vie normale, un logement, des proches et amis, une activité professionnelle. Au-delà, la préoccupation est d’obtenir justice et la réparation, portée par l’envie de témoigner et l’espoir d’être entendu. Le socle de la mémoire collective des survivants se met en place au sein des communautés dans des années 50 et 60. Toutefois, malgré la chasse aux criminels et les grands procès d’après guerre, le climat est à la recherche de la concorde nationale, aux efforts de reconstruction nationale et de construction européenne ; tous ces témoignages sont peu transmis et valorisés, jusqu’aux années Soixante-dix et Quatre-vingt, quand l’ère du témoin commence à faire foi au moment où des procès nationaux mettent en relief la nature du crime, et les complicités de pouvoirs publics ou de personnes d’influence. Témoigner devient un puissant antidote pour défier la mort, survivre et engager, enfin, le combat pour la Transmission.