À neuf ans, il a ressenti la fin de son enfance.

Nous habitions Saint-Nazaire, dont la base de sous-marins était la cible de  bombardements. Mes parents avaient réussi à envoyer à Paris chez nos grands- parents mon frère aîné, et moi j’ai voulu rester auprès d’eux.

15 juillet 1942, en début d’après- midi. Je me trouvais seul avec ma mère, chez nous. Mon père nous avait prévenus qu’il rentrerait plus tard que de coutume. Brutalement cinq soldats de la Feldgendarmerie sont arrivés avec leur officier, très autoritaire, et qui parlait français avec un fort accent. L’un des soldats tenait une mitraillette. J’avais très peur ; ils cherchaient mon père. Ma mère a répondu qu’elle ne savait en rien où il se trouvait mais a dû aller le chercher. Elle a toujours eu sur la conscience ce fait dont elle  n’imaginait certainement pas la conséquence. Une attente insupportable au milieu de ces soldats. J’avais 9 ans. Mon père, de retour, restait très calme, il devait probablement croire que se trouver prisonnier de guerre en congé de captivité le protégeait. D’ailleurs on nous emmenait « pour un simple contrôle ».

Dans l’un de leurs camions, à sept heures et demie, par une belle soirée d’été, ils nous ont embarqués, sous les yeux de nos voisins. Ils possédaient toutes les adresses des Juifs de la ville et ses environs. Nous sommes passés chez les uns et les autres ; la plupart d’entre eux ont été pris et nous avons été amenés dans une baraque pour dormir par terre, car rien n’était prévu. Mon père nous a fait ses adieux le lendemain matin, dans la cour du grand séminaire avant d’être happé par le convoi 8. Les hommes et les femmes seuls étaient répartis d’un côté et de l’autre de la cour. Au milieu, restaient les femmes avec leurs enfants, désemparés. Mon père m’a serré très fort dans ses bras avec un regard et une douceur que je n’oublierai jamais. C’était comme s’il savait que nous ne reverrions pas.

Nous avons été ma mère et moi, amenés au camp de la Lande de Monts, en Indre-et-Loire. Des barbelés, un mirador. Il y avait beaucoup d’enfants seuls, qui ont été des camarades de jeu merveilleux. Puis ce fut en septembre 1942 un transfert au camp de Drancy, pour un séjour de presque deux ans, comme fils et femme de prisonnier de guerre, protégés par la Convention de Genève. Nous sommes restés là jusqu’au 23 juillet 1944, pour ensuite être déportés à Bergen- Belsen, bientôt un mouroir, par le convoi 80. Nous avons été libérés par l’armée soviétique le 23 avril 1945 au terme du périple terrible du « train fantôme ». J’étais typhique.

... À Drancy, un chef scout, René Lévy, nous réunissait la veille d’une déportation d’enfants pour faire une chaîne d’au revoir. Je garde à l’esprit la dernière chaîne : un petit garçon, juste en face de moi pleurait, j’étais attiré irrésistiblement par son regard...