Le camp de concentration d’Oranienbourg-Sachsenhausen

Début : 12 juillet 1936
Fin avril 1945, le camp fut libéré par l'Armée rouge
De 1936 à 1945 : environ 200 000 personnes y ont été internées, 84 000 y sont mortes

Les premiers camps de concentration national-socialistes furent créés en février 1933 à Berlin. Ils n’existèrent que peu de temps. En revanche, le camp de concentration aménagé par les SA dans une ancienne brasserie de la petite ville d’Oranienbourg, située à environ 30 km au nord de Berlin, exista pendant plus d’un an. Les SS le fermèrent en juillet 1934 lorsqu’ils reprirent la charge des camps de concentration.

Les SS souhaitaient toutefois eux aussi disposer d’un camp de concentration à proximité de la capitale du IIIe Reich. En 1936, ils déplacèrent donc le camp d’Esterwegen situé dans l’arrondissement du Pays de l'Ems dans un nouveau camp aux abords d’Oranienbourg, près de la commune de Sachsenhausen. C’est de ce nom que fut baptisé le nouveau camp de concentration.

Le site forestier disponible formait presque un triangle équilatéral. En juillet 1936, les 50 premiers prisonniers commencèrent à abattre des arbres. Les baraques furent agencées en demi-cercles autour de la place d’appel, de telle manière que l’ensemble du camp pouvait être aperçu depuis la tour du portail d’entrée et atteint par les mitrailleuses. Cet aménagement permettait de signifier aux détenus qu’ils étaient entièrement sous contrôle. À la fin de l’année 1937, 53 baraques étaient prêtes. En 1938, le camp fut entouré d’un mur. À l’intérieur passait une clôture de barbelés électrifiée. Entre les deux patrouillaient des gardes SS. En outre, les prisonniers étaient surveillés par des sentinelles équipées de mitrailleuses et réparties sur huit tours. En 1938, le camp était déjà trop petit, la direction fit donc ériger 18 baraques supplémentaires à l’est de l’entrée (« le petit camp »).

Développement du camp

Sur le terrain attenant situé côté ouest du camp (« site industriel ») furent érigés des ateliers, puis plus tard également les usines d’armement DAW et l’usine d’habillement des Waffen-SS (« usine de chaussures »). La fosse d’exécution se trouvait elle aussi sur le site industriel. En outre, pendant la guerre, les SS y construisirent un crématorium et la Station Z avec l’installation servant à exécuter les prisonniers d’une balle dans la nuque (« Genickschussanlage ») et une chambre à gaz. Au sud-est du triangle que formait le camp se trouvait le camp des troupes SS-Totenkopfverbände qui surveillaient le camp et qui exerçaient également d’autres tâches militaires. À côté, l’inspection du camp, qui dirigeait le système des camps de concentration pour le compte du responsable SS Heinrich Himmler, reçut en 1938/39 un grand bâtiment administratif. Les responsables des gardes SS habitaient dans les lotissements SS d’Oranienbourg et de Sachsenhausen, situés au sud-ouest et au nord-ouest. En 1938/39, les prisonniers du camp durent fabriquer au bord du canal Oder-Havel situé à proximité une grande manufacture destinée à fournir à Hitler des briques lui permettant de mettre en œuvre des plans de construction titanesques à Berlin. Pendant la guerre, un autre site d’usinage de pierres granitiques devait voir le jour à côté pour remplir le même objectif. À la place, les prisonniers reçurent pour mission de démanteler le butin récolté dans les territoires occupés (« commando Speer »). Pendant la guerre, le site SS d’Oranienbourg s’étendit vers le nord. Parmi les principales entreprises, il y avait l’entrepôt de véhicules automobiles qui comptait la section de recherche expérimentale des techniques automobiles, les ateliers d’armement, un service principal responsable du matériel militaire et le service responsable du matériel militaire des transmissions de la Waffen-SS. Sur le site SS, il existait en outre un grand nombre d’autres établissements dont : une boulangerie industrielle, une boucherie, une école de santé publique et d’interprétation, une piste d’essai des chaussures de l’administration du IIIe Reich pour l’expansion économique ; les prisonniers du camp devaient y parcourir 30 à 40 km par jour avec de lourds sacs sur le dos en se faisant rouer de coups pour avancer, ainsi qu’une école de dressage de chiens, un institut de techniques et de mathématiques dans lequel des scientifiques détenus travaillaient, etc. À l’intérieur du camp, des prisonniers travaillaient dans des ateliers pour fabriquer de faux billets et réparer les montres de juifs assassinés.



Les prisonniers

À la fin de l’année 1936, Sachsenhausen comptait plus de 1 600 prisonniers. En 1937, leur nombre augmenta jusqu’à atteindre environ 2 500. En juin et en novembre 1938, de nombreuses incarcérations firent gonfler le nombre de détenus à plus de 14 000, mais ce nombre rechuta vite en raison de libérations et de décès. Au début de la guerre, 6 563 détenus étaient déclarés. Pour la période de 1937 à 1945, les chiffres suivants sont à notre connaissance :










1937


1938


1939


1940


1941


1942


1943


1944


31/03/1945




Remplissage à la fin de la guerre


2 523


8 309


12 187


10 577


12 059


16 559


28 224


60 879


47 933




Incarcérations


2 890


13 729


9 082


18 925


8 666


16 590


20 021


49 564


17 781





Remarque : les incarcérations de 1944 ne comprennent pas les nouvelles arrivantes dans les camps de femmes.

Sachsenhausen était la plaque tournante du système des camps de concentration. C’est pourquoi une partie considérable des prisonniers incarcérés furent renvoyés vers d’autres camps et ce, en particulier en 1940 et en 1944.

Dans les premières années du régime nazi, ce sont avant tout des opposants politiques qui furent enfermés dans les camps de concentration. Dans les années qui ont suivi, de nouvelles minorités ne cessèrent de s’y ajouter. Lors de la création du camp de concentration de Sachsenhausen, un tiers des prisonniers étaient déjà des criminels signalés en tant que « criminels professionnels » (BV, « Berufsverbrecher ») qui étaient toutefois bien souvent emprisonnés pour de petits délits. À partir de 1937, Himmler s’efforça de prendre en charge les personnes internées sous haute sécurité dans les établissements pénitentiaires. Toutefois, cette mesure ne fut systématisée qu’à partir de l’automne 1942 (dans le camp nommé « SVer »). En juin 1938, plus de 6 000 « fainéants » furent internés à Sachsenhausen. Il s’agissait souvent de personnes qui n’avaient pas d’emplois fixes, de sans domicile fixe, de vagabonds, de mendiants et de personnes poursuivies pour attentat aux mœurs ou ayant été dénoncées. Pour la première fois, les Sintés et les Roms furent internés en grands nombres. Lors des pogromes de novembre (« Nuits de Cristal »), la Gestapo livra environ 6 000 juifs au camp de Sachsenhausen. Ils y furent particulièrement maltraités et harcelés. Dans les semaines et les mois qui suivirent, les survivants furent, pour la plupart, libérés, à condition qu’ils démontrent qu’ils avaient la possibilité d’émigrer. À partir de mi-septembre 1939, environ 1 000 Polonais et juifs apatrides furent internés et à nouveau victimes de tortures particulièrement atroces. Le IIIe Reich se voulait « sans juif », c’est pourquoi les responsables SS déplacèrent à l’automne 1942 presque tous les juifs vers des camps installés dans la Pologne occupée, principalement vers Auschwitz. À partir du printemps 1944, des bombardements ravagèrent le pays, entraînant un grand besoin de travailleurs. Le IIIe Reich eut alors de nouveau recours à des juifs sur son territoire et les SS firent venir des milliers de femmes et d’hommes juifs des ghettos et des camps de Pologne, de Tchécoslovaquie et de Hongrie dans le camp de concentration de Sachsenhausen, principalement dans des camps extérieurs. Au début de l’année 1945, 11 100 juifs, femmes et hommes, étaient détenus sur l’ensemble du site du camp de concentration.

Les Sintés et les Roms connurent un destin similaire. Après leur déportation vers Auschwitz en décembre 1942, certains revinrent dans des camps de concentration sur le territoire du IIIe Reich, dont celui de Sachsenhausen en 1944.

Dans les années 1930, de nombreux Témoins de Jéhovah furent enfermés dans des camps de concentration pour purger des peines pour cause de résistance et de refus de se soumettre au service militaire. À partir du milieu des années 1930, la Gestapo envoya également dans des camps de concentration des émigrants revenus sur le territoire dans le but de les « éduquer ». De plus en plus d’hommes furent internés dans des camps de concentration en raison de leurs présumées tendances homosexuelles. Les apatrides dont l’expulsion avait échoué furent internés à partir de 1937 en tant que « prisonniers pour expulsion ». Même certains membres des SS furent internés dans le camp de Sachsenhausen pour purger des peines. À partir de février 1938, ils étaient désignés « compagnie éducative ». En général, ils n’avaient pas besoin de travailler et étaient parfois déployés dans le camp comme assistants. La Wehrmacht fit elle aussi interner des soldats dans le camp de concentration pour purger des peines (dans une unité spéciale « Sonderabteilung Wehrmacht » SAW).

Au cours de la Seconde Guerre Mondiale, des personnes de toute l’Europe, principalement issues des territoires occupés, furent internées dans le camp de concentration de Sachsenhausen. Dès l’été 1939, des Tchèques commencèrent à se trouver parmi les prisonniers internés. Avec l’internement massif de plus de 1 100 étudiants, leur nombre a fortement augmenté en novembre 1939. De 1940 à 1942, les Polonais constituaient la principale communauté nationale du camp. Ce groupe se composait notamment de 169 professeurs et enseignants des écoles supérieures de Cracovie. Deux mois après l’invasion de l’Union Soviétique, les transports massifs de prisonniers de guerre soviétiques débutèrent en 1941. D’abord, la plupart furent abattus, puis en octobre, la direction du camp garda environ 2 500 Russes pour les faire travailler dans une zone séparée du camp.

Des territoires d’Europe de l’ouest, du nord et du sud ayant été occupés par la Wehrmacht en 1940/41, d’abord peu de prisonniers furent envoyés au camp de concentration de Sachsenhausen. Au début, il s’agissait principalement d’opposants et d’autres prétendus ennemis de l’État, ainsi que de personnes impliquées activement dans des actions de résistance, comme par exemple les 270 mineurs de la région de Lille en juillet 1941. De Scandinavie, ce sont principalement des Norvégiens qui furent internés à Sachsenhausen. Dans de nombreux territoires occupés, la résistance commença à fortement s’intensifier vers 1943, entre autres parce que de jeunes hommes tentèrent de se dérober à la mobilisation pour le travail obligatoire sur le territoire du IIIe Reich. Dans plusieurs pays, des gens que l’on soupçonnait de soutenir des partisans furent arrêtés à grande échelle. En 1944, les internements massifs en provenance des territoires occupés atteignirent leur paroxysme. À cette période, les Allemands procédèrent à des arrestations massives et déportèrent les détenus des camps existants et des établissements pénitentiaires vers le territoire du IIIe Reich juste avant leur retraite militaire.

À partir de 1942, l’internement de travailleurs forcés étrangers exploités en Allemagne dans le camp de concentration de Sachsenhausen augmenta fortement. Ceux-ci étaient accusés de manquements aux règles de travail, de tentatives d’évasion ou de relations amoureuses avec des Allemands. Dans la majeure partie des cas, il s’agissait de personnes originaires d’URSS. C’est pourquoi, à partir de l’automne 1942, le russe était la langue majoritairement parlée dans le camp.

Les prisonniers particulièrement importants étaient enfermés par les SS dans un bâtiment spécial du camp appelé « Zellenbau ». Parmi les détenus les plus connus, on compte Georg Elser (qui tenta d’assassiner Hitler), Iakov Djougachvili (fils de Staline), Wladislaw Goral (archevêque de Lublin) et Herschel Grynszpan (responsable de l’assassinat d’un diplomate allemand à Paris en 1938 qui servit de prétexte aux pogromes de novembre). D’autres prisonniers furent placés dans un camp spécial au nord de l’enceinte du camp, dont l’ancien chancelier fédéral autrichien Kurt von Schuschnigg, un neveu de Churchill, Hjalmar Schacht (ancien président de la banque du IIIe Reich), Fritz Thyssen (industriel) et d’autres.

Dans les premières années du camp, de nombreux prisonniers étaient encore libérés au bout de quelques mois. Toutefois, le nombre de libérations diminua. En avril 1939, plus de 1 000 prisonniers furent libérés à l’occasion de l’anniversaire de Hitler. Toutefois, une partie d’entre eux fut de nouveau arrêtée après le début de la guerre. Nous disposons des chiffres suivants :





1939


1940


1941


1942


1943


1944


1945




3 672


2 141


1 157


1 680


1 078


2 839


287





Les chiffres relativement élevés sont dus au fait que Sachsenhausen était un camp de niveau 1, c’est-à-dire le moins dur sur trois niveaux. Rapporté au quotidien dans les camps de concentration, cette classification n’avait toutefois pas grande signification.

Souvent, une libération était synonyme de mobilisation sur certains lieux de travail, souvent des établissements SS. Des prisonniers du camp de Sachsenhausen furent sélectionnés à plusieurs reprises pour intégrer des unités probatoires militaires (nommées « Bewährungseinheiten »).

À l’été 1944, le camp de Sachsenhausen prit en charge pour la première fois un camp extérieur pour femmes à Berlin et alentours. Jusqu’à la fin de l’année 1944, le nombre de détenues augmenta pour atteindre environ 13 200 femmes. Une maison close fut aménagée dans le camp principal en 1944. Dix femmes, que les SS avaient fait venir du camp de concentration de Ravensbrück, y travaillèrent comme prostituées de force.

Parmi les détenues se trouvaient de plus en plus de juives. Dès avant la guerre, certains adeptes de la danse swing, par exemple, furent envoyés dans le camp de Sachsenhausen. Parmi les prisonniers polonais et soviétiques, on comptait tellement d’adolescents qu’un bloc spécial fut temporairement aménagé pour eux. Certains n’étaient âgés que de 14 ans.



Les camps extérieurs

Dès 1938, les SS aménagèrent plusieurs camps extérieurs au camp de Sachsenhausen, tout d’abord principalement lors de la construction de nouveaux camps de concentration comme ceux de Neuengamme, de Wewelsburg, de Ravensbrück, de Groß-Rosen et de Riga. À Berlin, deux petits camps extérieurs existaient depuis 1940/41. La manufacture de briques obtint son propre camp en 1941. En mai 1940, pour la première fois, un contrat fut conclu avec une entreprise industrielle de l’économie privée visant à mettre à sa disposition des prisonniers du camp de concentration. Il s’agissait de la société Mitteldeutsche Stahlwerke de la multinationale Flick sise à Hennigsdorf, près de Berlin. Toutefois, l’entreprise ne commença à mobiliser des prisonniers qu’en septembre 1941. À Oranienbourg, des prisonniers travaillèrent à partir de 1941 dans l’usine de métallurgie Kayser et dans les usines aéronautiques Heinkel. Ces dernières ouvrirent en septembre 1942 un camp extérieur. D’autres camps extérieurs virent le jour à partir de 1941 à Berlin et dans le reste de la zone attenante au camp de Sachsenhausen pour des objectifs SS. En outre, en 1942/43, la 1ère brigade de construction SS à Düsseldorf et Duisbourg dépendait du camp de Sachsenhausen, il en fut de même plus tard pour d’autres brigades de construction. En 1943, de nouveaux camps extérieurs furent construits dans des entreprises industrielles à Falkensee et à Kostrzyn nad Odrą. À Lieberose, les prisonniers du camp durent ériger à partir de 1943 un nouveau terrain d’entraînement pour les troupes SS. En 1944, le nombre de camps extérieurs augmenta fortement. À la fin de l’année, au moins 36 camps extérieurs pour hommes (comptant environ 25 000 prisonniers) et 19 pour femmes (comptant environ 13 200 prisonnières) dépendaient du camp de Sachsenhausen.



La violence et les brimades, le quotidien dans les camps

À l’arrivée de nouveaux prisonniers, les SS se montraient particulièrement brutaux et inhumains. Les gardiens SS faisaient avancer les nouveaux arrivants dans le camp au pas de course en les rouant de coups. Bien souvent, ils devaient commencer par se tenir au garde-à-vous sur la place d’appel pendant plusieurs heures. La plupart du temps, un dirigeant SS tenait une allocution martiale au cours de laquelle il énonçait, entre autres, les sanctions pratiquées dans le camp. La procédure d’admission suivante (remise des vêtements et des biens personnels, bain avec épouillage et rasage des poils, puis un temps d’attente sans vêtements en plein air était souvent imposé, réception des vêtements du camp, souvent de mauvaise taille, couture du numéro de matricule) avait pour but d’humilier les prisonniers et était suivie de nombreux harcèlements et brimades.

Après leur internement, la violence accompagnait continuellement les prisonniers. Le règlement du camp comportait des règles détaillées, allant jusqu’à indiquer quels objets devaient se trouver de quelle manière dans les armoires. Cette règle correspondait à l’image que les SS propageaient en public : un monde règlementé jusque dans le moindre détail de façon quasi-militaire et dans lequel les criminels et les asociaux étaient éduqués pour devenir des membres utiles à la communauté. Lorsque des groupes de visiteurs se rendaient dans le camp (à Sachsenhausen, des visites étaient organisées plusieurs fois par semaine), c’est ce monde imaginaire qui était présenté lors de la visite de baraques minutieusement préparées. Dans la plupart des blocs, les visites étaient impossibles, car ils étaient bondés et les conditions d’hygiène y étaient trop déplorables.

Il était impossible aux prisonniers de respecter la multitude d’interdictions imposées par le règlement du camp. C’est pourquoi les gardiens SS et les prisonniers d’encadrement ne manquaient jamais d’occasions pour infliger des punitions. Ils distribuaient des coups et pouvaient maltraiter des prisonniers selon leur bon plaisir, jusqu’à ce que ces derniers succombent. Ceux qui avaient un malaise étaient abandonnés, recevaient des coups de pied dans l’abdomen ou à la tête ou bien encore étaient aspergés d’eau froide, puis de nouveau maltraités. Aucun gardien n’était obligé de rendre des comptes lorsqu’il tuait un prisonnier. Parmi les punitions les moins dures, il y avait l’interdiction d’envoyer ou de recevoir des lettres et des colis, la privation de nourriture ou la position au garde-à-vous à la porte du camp. Lors du « Sachsengruß » (salut saxon), les prisonniers devaient rester en position accroupie, les mains tendues en avant ou jointes derrière la nuque, souvent pendant plusieurs heures. Il arrivait aussi fréquemment que tout un bloc soit obligé de faire du « sport » en raison d’une prétendue atteinte à l’ordre : c’est-à-dire qu’ils devaient courir, sautiller, ramper, bondir, etc. sur commande. Les juifs et les prisonniers du Zellenbau et du quartier d’isolement étaient traités de manière particulièrement dure. Étaient en isolement la compagnie disciplinaire des « récidivistes politiques » (prisonniers internés pour la 2e fois dans le camp de concentration), ainsi que parfois des Témoins de Jéhovah, des homosexuels, des détenus de l’unité SAW et des prisonniers avec la mention « R.U. » (« Rückkehr unerwünscht », retour non souhaité) – pour ceux qui n’étaient pas immédiatement assassinés. Il arrivait particulièrement souvent que les prisonniers de ces groupes soient également pris à part lors de l’appel ou pendant le travail pour être maltraités et brimés.

Des peines plus dures étaient appliquées lorsque des prisonniers étaient signalés par la direction du camp pour être punis. En cas de détention, il existait différents niveaux allant d’un jour à quatre semaines. Une détention aggravée signifiait une détention dans un cachot sombre, une détention sévère entraînait en plus l’interdiction de s’asseoir ou de s’allonger. Lors des châtiments corporels, les « délinquants » étaient fermement attachés à un bloc de bois et recevaient 25 coups, parfois plus, sur les fesses. L’estrapade consistait à lier les mains des concernés dans le dos et à les laisser suspendus pendant une demi-heure ou plus à un pieu. Un envoi dans la compagnie disciplinaire (« Strafkompanie » SK) était synonyme de traitement particulièrement brutal avec encore plus de coups, des conditions de vie médiocres et un travail particulièrement dur.

La pratique de certaines méthodes particulièrement atroces a pu être prouvée principalement entre 1938 et 1940. Des sbires comme Bugdalle, Sorge et Eccarius laissaient libre cours à leur colère avec une brutalité indescriptible. Ils aspergeaient d’eau les prisonniers avec un tuyau d’arrosage au niveau du cœur ou allongeaient leurs victimes ligotées sous une douche froide jusqu’à ce qu’elles meurent, introduisaient des tuyaux et projetaient des jets d’eau dans les différents orifices du corps et laissaient les victimes trempées en plein air dans le froid glacial, jusqu’à ce qu’elles meurent de froid. L’une des tortures consistait à entasser un grand nombre de prisonniers dans un placard à balais. Les portes et les fenêtres étaient colmatées pour que les concernés suffoquent rapidement. Il est arrivé à plusieurs reprises que des prisonniers soient enfouis dans la terre de manière à ce que seule leur tête dépasse ou même que des corps soient enterrés vivants.

Le déroulement des journées changeait en fonction des saisons. Du printemps à l’automne, le réveil était, la plupart du temps, entre quatre et cinq heures du matin, un peu plus tard en hiver. Manifestement, le travail se terminait la plupart du temps à 17 heures dans les premières années. Cet horaire fut adapté par la suite aux besoins des entreprises. Le soir, des avertissements sonores indiquaient le repos nocturne, la plupart du temps vers 21 heures. Autre expression de l’ordre quasi-militaire : les appels harassants. Afin de contrôler que personne ne s’était enfui, les prisonniers étaient comptés plusieurs fois par jour, parfois en sous-groupes, parfois tous ensemble. Le matin et le soir, les prisonniers devaient tous se rendre par blocs sur la place d’appel et attendre jusqu’à ce que les chiffres correspondent, peu importait qu’il y ait une tempête, qu’il pleuve ou que le soleil provoque des brûlures sur leurs têtes tondues. Même les malades qui n’avaient pas été admis à l’infirmerie devaient se présenter. Les prisonniers qui ne tenaient plus sur leurs jambes en raison des coups étaient étendus au bord, sur le sol, tout comme ceux qui étaient morts durant la journée.



Alimentation, vêtements et hébergement

Dans les premières années, les rations dans le camp de Sachsenhausen étaient certes simples, mais suffisantes pour les tâches physiques difficiles. Les prisonniers souffraient surtout de la faim lors des punitions. Mais cette condition changea pour de nombreux nouveaux arrivants avec les internements massifs de juin et de novembre 1938. Comme ils n’avaient pas été prévus, la pénurie et le chaos régnaient souvent.

Avec le début de la guerre, la direction du camp restreignit l’approvisionnement alimentaire. À partir de ce moment, les prisonniers du camp ne cessèrent de souffrir de la faim. Même les personnes vigoureuses et en bonne santé finissaient généralement faibles et malades, après seulement quelques semaines d’internement. Certains prisonniers recevaient encore moins à manger, par ex. les juifs et les internés de la compagnie disciplinaire, ainsi que les personnes affaiblies et inaptes au travail. En 1942 et en 1944, les rations alimentaires furent encore réduites.

Les mieux lotis étaient les prisonniers qui recevaient des colis, ce qui fut autorisé pour la plupart à partir de l’automne 1942. Mais ceci n’était bien sûr possible que lorsque leur famille vivait dans un territoire contrôlé par le IIIe Reich. Les juifs, les prisonniers NN (pour Nuit et Brouillard), ainsi que certains autres groupes, n’avaient pas l’autorisation de recevoir des colis.

Comme vêtements, les prisonniers du camp reçurent entre 1936 et 1939 divers invendus. La plupart portaient de vieux uniformes de police distingués par des taches de peinture à l’huile au niveau du buste, du dos et des jambes. À partir de l’automne 1939, l’uniforme de prisonnier rayé en viscose ou autres tissus de piètre qualité et qui tenait peu chaud fut distribué. Cet uniforme resta d’usage pendant plusieurs années. De plus en plus souvent, des galoches en bois furent utilisées comme chaussures. Vers 1943, les SS recommencèrent à distribuer des vêtements civils transformés et distingués par des taches de peinture à l’huile ou d’une autre manière.

Les hébergements se composaient de baraques en bois peintes en vert d’une longueur de 50 mètres sur une largeur de 8 mètres. Ces baraques étaient divisées en deux ailes, l’une servant de dortoir et l’autre de zone d’habitation. Au début, elles comptaient 36 couchettes superposées pour deux, ainsi que des couchettes simples pour les prisonniers les plus âgés du bloc et de la pièce commune. Plus tard, les couchettes passèrent à trois étages. La capacité du camp put ainsi être étendue à 10 000 détenus. En réalité, les hébergements étaient prévus pour 140 à 150 prisonniers, l’ajout d’un étage permit d’étendre les capacités à 200 prisonniers. Toutefois, pendant la guerre, l’occupation put s’élever à 400 prisonniers, chaque couchette devant être partagée par deux prisonniers. Dans les dernières années de la guerre, de plus en plus de prisonniers furent logés dans le camp principal. En 1945, ils furent temporairement plus de 22 000. En outre, à partir de début avril, environ 2 500 femmes s’y ajoutèrent également (on en compta même plus de 5 200 à partir du 19 avril). Celles-ci avaient été déplacées des camps extérieurs.

La pièce de jour comprenait des armoires métalliques, des tables, des bancs et des tabourets. À partir de 1938, la plupart du temps, les places assises ne suffisaient plus pour tous. C’est pourquoi les prisonniers devaient manger assis à tour de rôle. Bien souvent, les lieux d’hébergement étaient très froids. Pour se chauffer, il y avait certes des fours, mais ils ne pouvaient être allumés que sur ordre des gardiens SS.

Les installations hygiéniques étaient encore très primitives en 1936/37. Même après l’achèvement de la canalisation, les conditions restèrent difficiles car les douches et les latrines étaient, la plupart du temps, loin de suffire. Même les équipements les plus basiques comme le savon et les serviettes manquaient.



Le travail des prisonniers

En 1936/37, la plupart des prisonniers étaient occupés à l’aménagement du camp. Les prisonniers se livraient aux travaux de plein air par tous les temps. Les gardiens les stimulaient en distribuant des coups, qu’ils manient la pelle, qu’ils poussent des brouettes et des wagonnets, qu’ils creusent des fosses, qu’ils fassent des travaux de régulation dans l’eau ou qu’ils tirent de lourds rouleaux pour aplanir la terre. Il en était de même pour les nombreux commandos de transport, de chargement et de déchargement qui acheminaient des matériaux et des marchandises de tous types. Même dans ce domaine, la technologie était remplacée par la force humaine. Jusqu’à une douzaine de prisonniers devaient tirer sur une barre de traction pour faire avancer les wagons comme des chevaux. De longues chaînes étaient formées pour se passer ou se lancer les briques de main en main. Comme il n’y avait pas de gants de travail, les prisonniers souffraient longtemps de blessures aux mains. La stimulation par les coups et l’absence de protections de travail entraînaient souvent des blessures et des accidents.

Entre 1938 et 1940, le chantier de la manufacture de briques représentait l’incarnation de la terreur. Plus tard, des conditions similaires régnèrent sur d’autres chantiers. Pour épargner les gardiens SS, des prisonniers particulièrement brutaux étaient souvent employés comme kapos pour stimuler les autres.

Les seuls prisonniers qui avaient une chance de survivre étaient ceux qui parvenaient à obtenir un meilleur travail. Ce sont principalement les Allemands qui y parvenaient, car ils étaient favorisés par les SS. Ceux qui pouvaient travailler dans des bâtiments étaient protégés des intempéries. Les travaux les plus prisés étaient surtout ceux destinés à l’organisation du camp, par exemple dans la cuisine et dans les dépôts, les tâches de maintien de l’ordre dans les bâtiments, ainsi que les places de domestiques personnels des responsables SS ou dans l’administration du camp ou des entreprises. Même les ouvriers et les autres travailleurs exploités dans les nombreux ateliers étaient souvent un peu mieux traités. Les prisonniers qui n’étaient pas encore affectés à un commando de travail devaient effectuer un entraînement militaire ou rester au garde-à-vous toute la journée (commando garde-à-vous). Pour tirer encore parti des prisonniers affaiblis, la direction du camp mit en place au cours de la guerre de plus en plus de « commandos de ménagement » qui avaient pour principal objectif le démantèlement du butin et de tout autre matériel usagé dans le commando Speer, dans les usines DAW et dans l’usine de chaussures.

Jusqu’en 1942, les prisonniers du camp travaillaient presque exclusivement pour le camp ou pour les bureaux et les entreprises SS. À partir de 1941, le nombre de missions pour le compte d’entreprises privées augmenta. En décembre 1944, plus de 80 % des prisonniers du camp de Sachsenhausen travaillaient dans des camps extérieurs, dont la plupart dans des entreprises œuvrant dans l’économie de guerre.

Cette évolution apporta une certaine confusion dans l’ancienne hiérarchie raciste du camp. Souvent, les entreprises requéraient des compétences spécialisées. C’est pourquoi, à partir de 1942, il arrivait souvent que des Polonais et des Russes obtiennent de meilleures places. À l’inverse, en 1944, les nouveaux internés arrivés en masse, dont la plupart étaient français, étaient souvent envoyés dans les commandos de travail les plus redoutables.



Les malades et les affaiblis

Les conditions de vie et de travail eurent pour conséquence qu’à partir de 1939/40, la majorité des prisonniers était malade. En raison du manque de vêtements, beaucoup s’enrhumaient rapidement. Les rhumes se transformaient rapidement en angines, en bronchites ou encore en pneumonies. Épuisés par la faim et le travail pénible, beaucoup succombaient également à d’autres maladies. La nourriture était déséquilibrée, pauvre en protéines, en lipides et en vitamines, et en ajoutant à tout cela le manque d’hygiène, les troubles gastro-entérologiques se propageaient rapidement. De nombreux prisonniers souffraient d’eczéma, d’œdèmes, de furoncles, de phlegmons, d’ulcères purulents et de gelures au niveau des mains et des pieds. Les plaies guérissaient souvent mal. Sur les lieux de travail, les protections contre les accidents étaient insuffisantes, entraînant souvent des blessures. La tuberculose se répandit de plus en plus. À l’automne 1941, une épidémie de typhus exanthématique se déclara.

Les prisonniers malades pouvaient se manifester le matin, puis également le soir à partir de 1940. L’infirmerie n’admettait toutefois qu’un nombre limité de malades, c’est pourquoi des sélections étaient souvent effectuées. Jusqu’en 1938, trois baraques dans le coin au sud-ouest du camp étaient réservées pour l’infirmerie. Lorsque la place était insuffisante (à peu près au moment des internements massifs de 1938), les malades étaient également déposés dans les douches et dans les latrines des hébergements. En 1939, l’infirmerie fut entièrement modernisée et agrandie. Elle se composait de deux doubles baraques dotées d’un équipement partiellement moderne et était volontiers présentée aux visiteurs. Toutefois, seuls quelques prisonniers particuliers pouvaient profiter de ce traitement de faveur. Pour les autres, le strict nécessaire manquait. Dans les salles qui leur étaient réservées, les lits étaient souvent occupés par plusieurs patients. Les baraques voisines durent tout de même progressivement être annexées à l’infirmerie.

Avant la guerre, la plupart du temps, le personnel de l’infirmerie parvenait encore à obtenir le matériel de traitement le plus important. Au fil du temps, ce fut de plus en plus difficile. Les médicaments ne suffisaient que pour peu de patients. Les bandes en papier crêpé mettaient peu de temps à ramollir. Les patients avec des maladies contagieuses ne pouvaient pas être isolés. Pour les patients, le principal avantage de se faire admettre à l’infirmerie résidait dans le fait qu’ils n’étaient pas envoyés au travail. Dans les premières années, les médecins prisonniers avaient l’interdiction de travailler à l’infirmerie. Les soignants tentèrent donc, en s’aidant d’ouvrages médicaux et en demandant aux médecins et aux étudiants en médecine internés, d’acquérir des connaissances. Ce n’est qu’à partir de 1941/42 que les SS autorisèrent les médecins internés à exercer leur métier.

Aucun autre camp de concentration ne mena autant d’expérimentations

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