LE MEMORIAL DE MAUTHAUSEN… ET GUSEN
De 1945 à 1955, Mauthausen se trouve en secteur d’occupation soviétique. Durant cette période, disparaissent une partie des baraquements et des installations dans la carrière, qui fait partie intégrante du site de mémoire, ce dont témoignent de hautes stèles en haut et en bas de l’escalier. Mais les structures d’ensemble de « la forteresse » sont sauvegardées.
Dans le même temps, est rapidement effacé le site de Gusen : quelques restes des murs d’enceinte, le concasseur et le crématoire sont noyés dans la construction d’un lotissement et l’emprise, comme à l’époque nazie, des activités de l’industriel local du granit (Poschacher). Seule l’action d’une famille italienne, aidée par les associations italiennes et les Amicales française et belge, permet, en 1960, en achetant une parcelle et en l’entourant d’une enceinte de béton, de sauvegarder le crématoire.
Pendant tout ce temps, perdure la thèse de l’Autriche « première victime du nazisme » installée par les Alliés lors de la conférence de Casablanca (janvier 1943). Ce « mythe » tient jusqu’à l’affaire Waldheim, président de la République, ancien secrétaire général de l’ONU, dont on apprend qu’il fut officier de la Wehrmacht. C’est le chancelier Vranitsky (1986-1997) qui change officiellement la donne en déclarant que l’Autriche avait été complice du nazisme.
Un site granitique, relativement bien conservé…
En mai 2000 toutefois, la veille des cérémonies, le gouvernement autrichien invita largement, en particulier les rescapés survivants, à un grand concert de la Philharmonie de Vienne dans la carrière de Wiener Graben. Au-delà de la contestable décision de la tenue même d’un tel événement dans un tel lieu de martyre, et de son programme équivoque, les associations de mémoire constatent et critiquent une défiguration définitive (aplanissement du sol). La lutte pour la préservation du site est ouverte.
Jusqu’en 2017, le site était géré directement par le ministère fédéral de l’Intérieur. Aujourd’hui, les autorités fédérales ont créé, sous la tutelle du ministère de l’Intérieur, un organisme autonome dénommé « Mauthausen Memorial » (ci-après MM).
Une fois par an, le jour des cérémonies de mai (en principe, le dimanche qui suit le 5 mai, jour anniversaire de la libération), le site est confié au Mauthausen Komitee Österreich (église catholique, communauté israélite autrichienne, syndicats), membre du Comité international de Mauthausen (CIM). C’est le MKÖ en accord avec le CIM qui envoie les invitations aux représentants des associations et organisations politiques autrichiennes et au corps diplomatique.
… où l’exercice de la mémoire est souvent sous tension.
En 2018, le sinistrement célèbre escalier « de la mort », qui relie la carrière au camp qui la surplombe, est fermé « pour raisons de sécurité » par décision du nouveau ministre de l’intérieur (membre du FPÖ). Dans le même mouvement, une cage d’ascenseur en béton est construite « pour des raisons d’accessibilité » dans la « cour des garages SS » – un espace de granit, conservé dans son état originel. Il fallut déplacer les grandes plaques de marbre qui célébraient la rencontre, à cet endroit, le 5 mai 1945, des détenus venus au devant des libérateurs américains. Six ans ont passé, la protestation des organisations de mémoire reste mal entendue, et la situation reste tendue sur ces deux points.
A la fin des années 2010, après des décennies de quasi-abandon des vestiges de Gusen, le gouvernement convient de la nécessité de réhabiliter l’ensemble du site : il achète un certain nombre de terrains sur le site, sous la pression croissante du gouvernement polonais qui menaçait de le faire lui-même. En 2024, pour la première fois, il est avéré que l’espace de friches et de zones indistinctes – l’entreprise Poschacher ayant enfin lâché prise – peut accueillir, à l’emplacement de la place d’appel, la cérémonie de mai. Beaucoup reste à faire, et les ambitions à concrétiser.
Vers un changement d’époque ?
L’acquisition par la république d’Autriche de plusieurs terrains situés sur l’emplacement du camp de Gusen I, à 6 km de Mauthausen, y fait vivement évoluer le travail mémoriel : d’une part elle met en évidence le lien essentiel entre le « camp central » et le premier (en date et en nombre de détenus) de ses kommandos ; d’autre part elle vise à reconstituer une part importante du site à partie de ses vestiges jusque là diversement traités : le Mémorial, édifié en 1960 par des familles et des associations italienne puis française (l’Amicale) et belge autour du crématoire, ainsi sauvé de la destruction ; le concasseur, cœur battant de Gusen I entre les carrières et les voies ferrées ; la place d’appel et quelques fragments de murs de granit, qui servaient de site semi-industriel. En revanche la porte d’entrée du camp (Jourhaus), devenue une luxueuse villa, n’a pu être rachetée, faute d’accord sur un prix. La République d’Autriche, à travers MM, a programmé la construction d’un mémorial vaste et moderne qui se veut un hommage à toutes les catégories de victimes, particulièrement nombreuses dans les camps de Gusen I, II et III.
Mauthausen Memorial dont les bureaux sont à Vienne, est un organisme ambitieux, qui vise à fédérer des activités très diverses : conservation, archives, visites, recherche, communication, développement du tourisme de mémoire, programme pédagogique, notamment depuis qu’une loi stipule que tout élève des établissements scolaires d’Autriche doit avoir visité au moins une fois Mauthausen ou un de ses camps annexes. La direction de MM est assistée d’un Kuratorium, sorte de Conseil consultatif où sont représentées les ambassades des pays concernés, le CIM, le MKÖ. Le dynamisme de MM se manifeste dans la prise en charge croissante des sites et activités de mémoire liés aux anciens camps annexes : là où existaient de courageuses forces associatives locales, MM apporte ses compétences professionnelles et tend à fédérer les initiatives : ainsi de la série, en cours d’installation à partir de mai 2023, de stèles mémorielles toutes conçues sur le même modèle mais distinguées uniquement par la localisation de chaque camp. Ainsi sera donnée à voir, à terme, quelle fut l’emprise concrète du réseau Mauthausen sur le territoire autrichien, et aussi quelle devrait être l’empreinte de MM sur l’ensemble des Gedenkstätte.