Paradoxalement, au sein d’une ville qui n’en manque pas le cimetière du Père-Lachaise figure parmi les sites les plus touristiques de Paris avec ses 3 millions de visiteurs ce qui en fait l’un des cimetières les plus parcourus au monde.
Situé dans le XXè arrondissement, sur une colline appartenant au Moyen-Âge à l’Evêché de Paris, le site devint au XVIIè siècle un lieu de convalescence pour la monarchie, dont Louis XIV et son confesseur, le Père François de la Chaise. Le lieu restera un parc jusqu’à un décret du Consul Bonaparte, qui décida d’en faire un cimetière après que la loi de 1780 eut décidé de supprimer les cimetières intra-muros ; mais avec la croissance démographique le cimetière fut à nouveau intégré au tissu urbain sous le nom de cimetière de l’Est parisien. L’appellation populaire de Père-Lachaise l’emporta cependant rapidement. L’aménagement est confié à Alexandre-Théodore Brongniart, lequel adopte un plan aéré de jardin à l’anglaise, dont les espaces verdoyants seront vite occupés par les sépultures.
Si ce cimetière célèbre est tant visité cela tient au grand nombre de personnalités célèbres qui y sont inhumées, ou dont l’urne est installée à son columbarium. D’ailleurs le transfert des corps de Molière et de la Fontaine a été à l’origine du succès croissant du Père-Lachaise, comme lieu de prédilection des dernières demeures des célébrités. Cette réputation n’a pas été démentie depuis le XIXè siècle, mais depuis ce cimetière, avec ses 70 000 concessions et son million de personnes enterrées au fil des siècles, est devenu un haut lieu de la mémoire de Paris et de la Nation.
Le cimetière du Père-Lachaise abrite de nombreux monuments commémoratifs, dont le plus ancien est le monument aux victimes des 5 et 6 juin commémorant Gardes Nationaux tombés lors de l'insurrection républicaine parisienne en 1832. Le plus célèbre est cependant le Mur des Fédérés, dont la plaque a été inaugurée en 1907 en hommage aux derniers combattants de la Commune de Paris exécutés contre l’enceinte du cimetière à la fin de la « Semaine Sanglante » au mois de mai 1871. Les guerres qui ont touché la France, dont la guerre franco-allemande de 1870 et la Première Guerre mondiale, ont leur lot de mémoriaux.
Il existe également plusieurs mémoriaux en rapport aux déportations de la Seconde Guerre mondiale, le Père-Lachaise propose pour qui veut bien le découvrir, un parcours mémoriel riche de plusieurs lieux et monuments, pris en charge pour la grande majorité par les associations d’anciens déportés. Ces divers mémoriaux et stèles ont été érigés à partir de 1949:
- 26 juin 1949 : Monument aux déportés d’Auschwitz-Birkenau (Auteur : Françoise Salmon) ;
- 13 novembre 1949 : Monument aux victimes du camp de Neuengamme (Auteur : Pierre Honoré) ;
- 23 avril 1955 : Monument d'hommage aux déportées de Ravensbrück (Auteur : Emile Morlaix) ;
- 5 avril 1964: Monument aux victimes de Buchenwald et de Dora (Auteur : Louis Bancel) ;
- 2 mai 1970 : Monument aux victimes d’Oranienburg-Sachsenhausen (Auteur : Jean-Baptiste Leducq) ;
- 1er juin 1985 : Monument aux victimes de Dachau (Auteurs : Louis Docoet et François Spy) ;
- 8 octobre 1988 : Monument aux déportés du camp de concentration de Flossenbürg et de ses 95 Kommandos ;
- 4 février 1993 : Monument aux victimes de Buna-Monowitz (Auteur : Louis Mitelberg);
- 23 mars 1994 : Monument aux victimes de Bergen-Belsen (Auteur : Guillaume d’Astorg) ;
- 21 septembre 2001 : Monument à la mémoire des déportés du camp de Mauthausen (Auteur : Gérard Choain) ;
- 20 novembre 2004 : Monument aux victimes de Natzweiler-Struthof, du Décret Nacht und Nebel (Auteur : Bertrand Monnet) ;
- 26 novembre 2006 : Stèle aux déportés du convoi 73 ;
- 12 octobre 2017 : Monument à la mémoire des enfants juifs déportés de France érigé en commun par la Mairie de Paris et par le COMEJD (Auteur : Casto Solano)
La totalité de ces mémoriaux a été installée dans les divisions 77 et 97 du cimetière, dans l’angle sud-est sur la voie circulaire, près du Mur des Fédérés. Ils ont été édifiés jusqu’à une date récente, en 2017 pour le Monument dédié à la mémoire des enfants juifs déportés de France. Il est étonnant qu’il ait fallu attendre presque un demi-siècle avant que le Monument à la mémoire des déportés du camp d’Auschwitz III Buna-Monowitz (1993) ne soit édifié après celui d’Auschwitz-Birkenau (1949).
Si chaque monument présente une singularité architecturale, beaucoup se réunissent autour du sens figuratif de la déportation et des éléments qui la symbolisent : usage de la pierre de granite ou de lave sombre, sculptures massives de portes étroites de camps d’où l’on ne peut entrevoir que le désespoir et la mort, marches des carrières, rails conduisant au camp, corps décharnés hurlant leur douleur. Malgré tout, les architectes et leurs commanditaires ont voulu exprimer sur quelques monuments le fait que l’esprit demeure quand la chair est meurtrie, que l’espoir et la lumière, symbolisés par une flamme ou de la végétation, subsistent au-delà d’une enceinte où règnent la terreur, la violence et la mort. Le mémorial le plus original est probablement celui dédié à la mémoire des 11 450 enfants juifs déportés de France dont 6100 parisiens ; leurs frêles silhouettes sont représentées par des tiges de fer blanches. A Paris, il importe de rappeler que très nombreuses plaques commémoratives ont été apposées aux murs des écoles en hommage à tous ces enfants assassinés, et pour ceux qui n’étaient pas scolarisés des stèles ont également été réalisées dans les parcs et jardins de Paris.
L’ensemble évolutif du Père-Lachaise appelle à la fois silence et recueillement, l’hommage aux victimes implique tout autant la nécessaire réflexion sur la nature des crimes. Ce parcours est unique, les tombes des célébrités, quelles que soient leurs mérites, ne sauraient occulter ces millions d’anonymes qui ne sont pas revenus des camps nazis ou des fosses communes d’exécutions de masse.