Agis comme si j’étais toujours à tes côtés

Éditions Le Manuscrit, 1 octobre 2018, (CR, Isabelle Ernot)

« J’écris ce livre très tardivement, à 86 ans. Je le dédie à ma pauvre mère, qui n’a pas eu la joie de me voir grandir, que je n’ai pu entourer dans ses vieux jours, à mon frère que j’aurais tellement voulu accompagner […] lui, si sensible, disparu à l’âge de 11 ans. » (p.13)

C’est sur cet hommage à ses proches que Simone Polak a choisi d’ouvrir son ouvrage mémoriel. Déportée avec sa mère et son petit frère par le convoi 74 du 20 mai 1944, seule, elle est revenue. Prenant à rebours la chronologie, elle commence par la période du retour. Elle a alors 16 ans. Son récit fait mesurer la rupture qui sépare irrémédiablement les survivants des autres et le trauma qui s’approfondit, s’enracine, s’enkyste dans la solitude.

Simone qui a grandi à Saverne « à l’ombre de la synagogue » fréquentait aussi des bourgades de la région où sa fratrie était installée. C’est l’occasion de rappeler la longue histoire des Juifs en Alsace, dont témoignent les cimetières – particulièrement celui de Rosenwiller, l’un des plus importants, qui abrite près de six mille sépultures et dont sa grand-mère était la gardienne – ainsi que l’existence du judéo- alsacien (yiddishdaitsch), cette langue vernaculaire des Juifs de la vallée du Rhin.

Dans cette région frontalière, l’invasion allemande provoque une rupture fulgurante. Après l’annexion, arrive le décret d’expulsion des Juifs d’Alsace et d’une partie de la Lorraine. (15 juillet 1940) « D’un jour à l’autre, les Juifs furent forcés de quitter les villes et villages, dans lesquels ils étaient enracinés depuis des générations. » (p.46).

A Birkenau, l’adolescente rencontre une figure protectrice, Sarah, d’origine turque, âgée de 44 ans. Ensemble, elles forment un duo d’entre-aide. Simone connaît plusieurs Kommandos. Sous sa plume, cette réalité exprimée qui fut commune aux « femmes de Birkenau » : « Mais il ne fallait pas s’attacher, il ne fallait pas penser, ni au présent ni au passé, d’avenir, il n’y en avait plus » (p.104).

Arrivée en mai 1944, Simone quitte le camp fin octobre, début novembre. Elle se retrouve à Bergen-Belsen, puis à Raguhn, enfin à Theresienstadt. Durant les premières années de l’après-guerre, elle supporte des séquelles extrêmement graves et connaît plusieurs années de soin.

« Agis comme si j’étais toujours à tes côtés », cette petite phrase de sa mère a accompagné Simone dans son chemin de survie et jusqu’à aujourd’hui. « Le poids de la déportation, je l’ai subi tout au long de ma vie, tant moralement que physiquement. Pour assumer le quotidien, j’ai mis de côté mon ressenti. Ni ma famille, ni mes amis, ni mon entourage ne connaissaient jusqu’à présent mon véritable parcours. C’est la raison pour laquelle il fallait qu’à 86 ans j’écrive, avant qu’il ne soit trop tard. » (p.177)

Et nous l’en remercions.

Isabelle Ernot, Après-Auschwitz, n°349, Printemps 2019