Le dernier inventeur

Inventeur : celui qui découvre, qui trouve un objet caché ou perdu.
Le 12 septembre 1940 à Montignac en Dordogne quatre adolescents, quatre bons copains, Marcel Ravidat, Georges Agniel, Jacques Marsal et Simon Coencas, découvrent par hasard ce qui va être considéré comme le joyau de l’art pariétal, la « chapelle Sixtine » de la Préhistoire : la grotte de Lascaux.
Fascinée depuis l’enfance par Lascaux et désirant écrire une histoire d’amitié forte, la romancière Héloïse Guay de Bellissen décide en 2018 de contacter le dernier des « inventeurs » de Lascaux encore en vie : Simon Coencas afin qu’il lui raconte l’histoire de cette découverte incroyable.
Simon qui s’est très peu exprimé sur le sujet, désormais très âgé, rencontre des difficultés à parler en raison d’une trachéotomie. Séduit par le projet littéraire et la personnalité d’Héloïse, il accepte toutefois de la recevoir chez lui à Paris.
Lors de leur premier entretien, c’est « la grotte intérieure d’un petit garçon de quatre-vingt-onze piges qui vient de se rouvrir » écrit l’auteure, qui poursuit « je ne sais toujours pas pourquoi Lascaux m’a emmenée vers une autre cavité, mais au fond c’est cette découverte là que j’attendais. La vie de Simon Coencas sur une paroi que j’allais calquer comme l’avaient fait avant moi les préhistoriens avec les dessins de Lascaux ».
En effet, Simon, avant même d’évoquer les souvenirs heureux liés à la découverte du trésor qu’est Lascaux, tend un papier à Héloïse où figure un numéro « 20.729 », celui du matricule qui lui fut attribué à son arrivée à Drancy où il séjourne quelques semaines durant l’automne 1942 et où il voit pour la dernière fois Victorine sa mère, avant qu’elle ne soit déportée à Auschwitz le 9 novembre 1942 par le convoi 44. C’était déjà le sort subi par son père, Michel, dénoncé par son gérant et envoyé lui aussi à Auschwitz peu de temps avant, le 23 septembre 1942 par le convoi 36. Aucun des deux n’est revenu.
Simon et sa sœur Éliette échappent à la déportation, ils sont sortis du camp, sans doute aidés par l’UGIF. [« Près de 200 enfants auraient (…) été libérés entre juillet décembre 1942 », in A l’intérieur du camp de Drancy, (p. 212), Annette Wieviorka et Michel Lafitte, 2015]
Revenons à Lascaux et à ce 12 septembre 1940. Simon, né en 1927, a alors treize ans. C’est le plus jeune mais aussi le petit parisien de la bande dont la famille juive d’origine grecque, des commerçants spécialisés dans la confection de prêt-à-porter, ont trouvé refuge depuis plusieurs mois à Montignac, en zone libre.
Avec les copains, ils décident dans un premier temps de ne parler de la grotte à personne, de garder ce trésor rien que pour eux. Ce sera leur secret.
Le 17 septembre 1940, les parents de Simon décident de quitter Montignac pour retourner à Paris afin de rouvrir leurs boutiques de prêt-à-porter. Quelques jours après seulement sont prises les mesures anti-juives allemandes et françaises, dont le 27 septembre, l’ordonnance allemande qui impose le recensement des Juifs et le 3 octobre, le premier statut des Juifs par le gouvernement de Vichy.
Simon laisse donc sa grotte, Montignac et les copains qui au bout de quelques jours finissent enfin par en parler à l’instituteur du village, Léon Laval, féru d’archéologie, qui lui-même en parle à l’Abbé Breuil, spécialiste de l’art pariétal, préhistorien renommé et professeur au Collège de France.
La presse locale se déplace, prend des clichés de la grotte et de ses « inventeurs » sur lesquels Simon n’apparait donc pas puisque déjà bien loin de Montignac.
Si un jour, vous passez visiter Lascaux (pas l’originale fermée depuis longtemps pour qu’elle ne s’abîme pas), vous pourrez voir une photo de Simon. Il s’agit d’une photo prise à Drancy, la seule existante de lui datant de ces années.
Après Drancy, Simon passe le reste de la guerre caché dans une minuscule chambre sous les combles d’un immeuble de la rue Rodier avec sa tante et ses cousins. A la Libération, il attend en vain le retour de ses parents. En 1948, il épouse Gisèle née Dufresnoy. Leurs trois enfants Michel, Nada et Eddy sont élevés dans la religion catholique, ignorant longtemps que leur père était juif.
Simon est revenu pour la première fois à Lascaux seulement en 1986. Les quatre copains se sont alors retrouvés. En 1991, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la découverte, il a été décoré de l’ordre du Mérite. Simon Coencas est décédé en février 2020 quelques mois seulement avant la parution de ce livre.
Héloïse Guay de Belissen raconte avec talent, poésie, tendresse et des mots d’une beauté infinie, l’histoire d’un homme entré dans l’Histoire grâce à sa découverte et que cette même Histoire a voulu anéantir. Le dernier inventeur est un texte singulier, objet littéraire non identifié, mélange de roman d’aventures, de récit, de témoignage, teinté d’onirisme, lorsque notamment son auteur fait parler la grotte qui livre ses secrets et devient un personnage à part entière du récit.
Qu’il soit rendu hommage au petit Simon Coencas ainsi qu’à tous ceux qui ont changé le cours de nos vies.
Juliette Duchemin, Après Auschwitz, n°355-356, Juillet – Septembre / Octobre – Décembre 2021