L’enfant des camps

Grasset, 20 janvier 2021, 118p., (CR, Isabelle Ernot)

Je dédie ce petit livre à tous les enfants martyrs, aussi à ceux que j’ai connus, et qui on tant souffert. À tous ces enfants qu’on a tués, et qu’on a fait souffrir avant, à tous ces enfants que des monstres ont assassinés. En espérant que le monde qui vient comprendra et respectera les enfants. De toutes mes forces, je le souhaite.

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Revenir vers l’enfance pour évoquer des événements vieux de près de 80 ans. Lointains mais tellement proches. A l’occasion d’un anniversaire, celui de son arrière-petite-fille, 7 ans, Francine Christophe laisse ses souvenirs vagabonder vers ses huit ans à elle, et son arrestation, ce 26 juillet 1942.

Le « moment rupture » se déroule en gare de La Rochefoucauld, près d’Angoulême, sur la ligne de démarcation. Avec sa maman, Francine est arrêtée par la Feldgendarmerie. S’ouvre une autre histoire qui va durer trois années :

« Nous sommes descendues du train, on nous a demandé nos papiers et ça a commencé : emprisonnées, interrogées, internées de camp en camp, de prison en prison. En France. Puis en Allemagne, loin à l’Est, dernière étape d’un voyage qui aurait dû être sans retour. J’allais fêter mon neuvième anniversaire quelques jours plus tard. » (p. 14)

En France, elles passent de « camp en camp » : Poitiers, Drancy, Pithiviers, Beaune-la-Rolande, de nouveau Drancy. Lorsqu’elles arrivent à Beaune, elles ignorent le passé récent, la violence extrême infligée là aux familles victimes de la Rafle du Vel d’hiv.

« A l’époque, nous ne savons pas qu’avant nous, c’était là, dans ce camp entouré de champs de pommiers, que tant d’enfants ont été séparés de leur mère, à coups de crosse de fusil. »(p.40)Le récit éclaire le rôle des mères qui auprès de leur enfant ont tout fait pour le sauver, le faire tenir, l’aider pour supporter l’insupportable, dans cette guerre qui n’en finissait pas.

« La séparation était notre hantise. Je sais que je n’aurais jamais survécu sans Maman. Elle était tout pour moi, tout ce qui me restait dans ce monde de haine. Et j’étais tout pour elle. C’est son amour et sa volonté qui m’ont permis de tenir, de ne pas renoncer, même aux heures les plus noires. » (p.36)

Et d’abord, en s’accrochant à ce statut défini par la Convention de Genève, celui d’épouse (et enfant) de prisonnier de guerre, qui était censé les protéger contre la déportation. Ce ne fut pas le cas, mais il évita à plusieurs dizaines de femmes juives d’être orientées vers Auschwitz.

Le récit décrit précisément la situation des mères et des enfants au camp de Bergen Belsen, la condition de « déporté » vécue par ces enfants, dans leur chair et ce que leurs yeux n’ont jamais oublié. On songe aux enfants qui ont partagé le quotidien de Francine dont certains ont laissé une trace écrite ou vidéo de leur déportation1.

Francine Christophe, aujourd’hui présidente de l’Amicale de Bergen Belsen, a déjà écrit Une petite fille privilégiée et Après les camps, la vie, elle demeure un grand témoin auprès des enfants et adolescents de notre époque contemporaine.

 

Isabelle Ernot, Après-Auschwitz, n°357-358, Janvier – Mars / Avril – Juin 2021