Mémorial des Judéo-Espagnols déportés de France

Publication de l’association « Muestros Dezaparesidos », sous la direction d’Alain de Toledo, avec Henriette Asséo, Annie Bellaïche Cohen, Muriel Flicoteaux, Corry Guttstadt, Xavier Rothéa, Sabi Soulam, 720

Voilà un ouvrage fondamental qui a demandé une décennie de travail et dont les 720 pages disent l’ampleur. Mené sous la direction d’Alain de Tolédo, il est l’œuvre d’un collectif com- posé d’historiens et de bénévoles, réalisé sous l’impulsion de l’association « Muestros Dezaparesidos » (« Nos disparus »). Celle-ci fondée en 2010, réunit 7 associations judéo-espagnoles (Aki Estamos, Al Syete, Centre communautaire Don Isaac Abravanel, Judéo Espagnol A Auschwitz – JEAA, Union des Israélites sépharades de France – USIF, Vidas Largas, Vidas Largas Marseille). L’équipe qui a consulté de multiples archives a également recueilli des témoignages.

Mémorial, l’ouvrage recense les Judéo-Espagnols déportés dont très peu sont revenus – l’on songe au Mémorial de la Déportation des Juifs de France dirigé par Serge Klarsfeld – et s’attache aussi à faire connaître la culture et l’histoire des Judéo-Espagnols – auxquelles Haim Vidal Sephiha a dédié sa vie.

35 000 Judéo-Espagnols ont quitté un Empire ottoman en situation de crise pour venir s’installer en France. L’ouvrage évoque la vie dans cet ancien Empire, les conditions de la migration et celles de l’installation en France. A la rencontre de ces deux histoires, est rappelée l’existence de cette véritable « institution » que fut le café-restaurant « Le Bosphore  », lieu de convivialité et de sociabilité fondé en 1905, situé rue Sedaine dans le 11e arrondissement, quartier de « la petite Turquie », qui fut victime d’une rafle menée par la Gestapo en mai 1944.

Dans le cadre de la Seconde Guerre, entre 1942 et 1944, l’ouvrage recense 5 300 Judéo-Espagnols déportés de France. Il s’intéresse aussi à la vie quotidienne pendant la guerre, aux camps d’internement, à l’engagement dans la résistance.

Rappelons qu’en 2003, une dalle en judéo-espagnol a été posée à Birkenau, un projet porté par la JEAA présidée par Haïm Vidal Sephiha et par Michel Azaria.

Isabelle Ernot, Après Auschwitz, n°353-354, Janvier – Mars/Avril – Juin 2020

L’association – au sein de laquelle Claire Romi, bénévole à l’UDA est également active – possède un site : https://muestros- dezaparesidos.org

Retrouver la présentation de l’ouvrage sur Internet, sur le site du Mémorial ou celui de l’ECUJE, soirée animée par Haïm Musikant avec Alain de Toledo, Raphaël Esrail, Sabi Soulam, René et Esther Benbassat, Annie Bellaïche Cohen, Michèle Sarde, Maurice Soustiel : https://www.youtube.com/watch?v=QKjVjJVbRDY

Haïm Vidal Sephiha s’est éteint en décembre dernier, à l’âge de 96 ans.

[Après] des études de linguistique, de littérature espagnole et de littérature portugaise à la Sorbonne, [il] commença une carrière universitaire exceptionnelle. Sa thèse d’État : « Le ladino (judéo-espagnol calque) : structure et évolution d’une langue liturgique » fut éditée en 2 volumes en 1982. La même année, il occupe, à l’Université Paris VIII, une chaire de linguistique hispanique, laquelle, transformée en chaire de judéo-espagnol – la première au monde – fut transférée à Paris III (Inalco). Le professeur Haïm Vidal Sephiha participa à des jurys où plus de 500 étudiants soutinrent leurs mémoires et thèses hispaniques. Il enseigna à travers le monde (Allemagne, Italie, Autriche, Angleterre, Irlande, Es- pagne, Portugal, Grèce, Turquie, Suisse, Maroc, Israël, Chili, Argentine, URSS, etc).

Il écrivit 7 livres et plus de 400 articles sur la langue judéo-espagnole, parmi lesquels L’agonie des Judéo-Espagnols (Ed. Ententes, 1977, réédité en 1985 et 1991), Yiddish et judéo-espagnol : un héritage européen, (Ed. Bureau européen pour les langues moins répandues, 1997), Ma vie pour le judéo-espagnol, la langue de ma mère. Entretien avec Dominique Vidal Sephiha, Ed. Le bord de l’eau, 2015).

Sa théorie portait essentiellement sur la distinction précise, aujourd’hui reprise par de nombreux universitaires dans le monde entier, entre le judéo-espagnol vernaculaire, langue parlée (djudezmo, djudyo, espanyol, espanyoliko en Orient ou haketía au nord du Maroc) et le judéo-espagnol calque (ladino) qui ne se parle pas, mais qui résulte de la traduction littérale de l’hébreu en espagnol.

Le ladino est la traduction mot à mot de l’hébreu, de l’araméen biblique et des textes liturgiques faite par les rabbins des écoles juives d’Espagne. Il acquiert ainsi un caractère semi sacré. En bref, le ladino est « de l’hébreu habillé d’espagnol ».

Précurseur des professeurs universitaires modernes, il se rapproche des Juifs non-universitaires et anime toute sa vie des ateliers de discussion à l’intention de ceux désireux à la fois de se retrouver pour parler leur langue mais aussi d’en connaître les fondements théoriques et historiques au sein de l’association Vidas Largas qu’il crée en 1979.

En 1981, avec l’arrivée des radio libres, Haïm-Vidal Sephiha créa « Muestra lingua », une émission hebdomadaire en judéo-espagnol sur la fréquence des radios juives.

En janvier 2002, avec le soutien de Michel Azaria, le professeur Haïm Vidal Sephiha crée l’association « Judéo Es- pagnol A Auschwitz » (JEAA) pour mener une campagne auprès des autorités polonaises en vue de l’adjonction au Mémorial d’Auschwitz Birkenau (Pologne) d’une 21e dalle en judéo-espagnol. Cette dalle fut inaugurée le 24 mars 2003 en présence de Madame Simone Veil. […]

À la fin de sa vie, de nombreux hommages sont rendus au Professeur Haïm Vidal Sephiha pour son dévouement et l’énergie déployée afin que la langue judéo-espagnole, tenue il y a encore 50 ans en peu d’estime et considérée par beaucoup comme un simple patois, ait enfin regagné toute sa noblesse et la reconnaissance académique en France et dans le monde entier.

 Michel Azaria (Extrait du texte publié sur le site du Crif)