Se souvenir d’Hélène Berr

Une célébration collective. Fayard, 3 mars 2021, La vie et l’oeuvre d’Hélène Berr, commémorées par les éditions FAYARD

En  cette  année  2021,  les éditions  Fayard  commémorent  la  naissance,  le 27  mars  1921,  d’Hélène Berr, autrice d’un incomparable   journal   intime qui s’analyse aujourd’hui comme un acte essentiel de résistance au nazisme et au génocide des Juifs d’Europe. Le 8 mars 1944, la jeune étudiante est arrêtée ainsi que ses parents dans l’appartement de l’avenue Elysée-Reclus. La cuisinière de la famille, Andrée Bardiau parvient à sauver le Journal ainsi que le violon de cette grande musicienne. Internée au camp de Drancy, elle est déportée avec ses parents à Auschwitz le 27 mars 1944,  jour de son vingt-troisième anniversaire. Subissant la terrible « marche  de  la  mort  » comme l’évoque sa camarade Simone Veil1, transférée à Bergen-Belsen, Hélène Berr est battue à mort par une gardienne et meurt le 10 avril 1945, à l’âge de 24 ans. Dans une lettre de 1993 que cite l’édition du Journal en 2008, sa camarade du camp d’Auschwitz, Nadine Heftler, évoque ce qui émanait d’elle : « Une sorte de tranquillité et une force vitale qu’elle essayait de nous trans- mettre. Elle nous prodiguait des encouragements, et arrivait à nous transporter hors du camp, de notre misère sans fond, par la seule magie de ses paroles. C’était aussi son élégance

Il faut se souvenir qu’Hélène Berr a vécu près d’une année dans le camp d’Auschwitz-Birkenau, dans  ce  qui  fut  le lieu central, mais non exclusif, de la destruction des Juifs d’Europe, particulièrement durant l’année 1944 où l’industrie de la mort nazie est au maximum de ses capacités exterminatrices. L’Union des déportés d’Auschwitz le sait, qui se préoccupe sans relâche de faire connaître la lutte pour la vie et le combat pour la mémoire de celles et ceux qui affrontèrent une telle expérience. Elle le fait avec les armes de la connaissance érudite et scientifique.

Contribuant à cette double commémoration, de la naissance mais aussi de l’arrestation d’Hélène Berr3 qui la précipite dans un génocide dont elle pressentait les mécanismes absolus, les éditions Fayard publient un ouvrage collectif de référence. Il a été conçu et il est dirigé par Karine Baranès- Bénichou et Mariette Job, cette dernière ayant été l’éditrice du Journal d’Hélène Berr. Leurs mots restituent le sens du livre présent. Ils insistent sur une donnée majeure de l’histoire   des génocides et des crimes de masse : il demeure essentiel en effet de restituer la vie d’avant, celle que les génocidaires ambitionnent de faire disparaître en même temps que l’exis- tence physique des personnes. Retrouver le Journal d’Hélène Berr, le publier, l’étudier comme le font Karine Baranès-Bénichou et Mariette Job, c’est opposer à l’entreprise génocidaire le témoignage de la vie humaine dans ce qu’elle a de plus  fort et de plus vrai. Réveiller le souvenir d’Hélène Berr brise le mécanisme du génocide qui veut que des êtres humains, parce que nés juifs, arméniens, tutsi, herero, doivent disparaître à tout jamais et le patrimoine de leur vie avec. L’ouvrage que publient les éditions Fayard nous incite à la réflexion autant qu’il nous entraîne vers le monde de beauté et de vérité qu’une très jeune femme sut protéger et exprimer.

« Il est assez curieux ce mot ‘centenaire’ apposé tout près du nom d’Hélène Berr et avec lequel il ose même faire la rime », écrivent en avant-propos Karine Baranès-Bénichou et Mariette Job. Presque inapproprié ou anachronique tant Hélène Berr est restée cette femme à la grâce altière et d’éternelle jeunesse. 24 ans. 24 ans au moment où la vie lui est arrachée, en 1945, à Bergen-Belsen, laissant derrière elle son Journal, mais emportant dans le néant toutes les autres promesses d’amour et de créativité qu’elle sentait prêtes à éclore en elle. Pas une année de plus ne viendra égrener le décompte de ce temps qui passe inexorablement, vieillit les visages, mais pas le sien, dessine des projets ou conforte des vocations, mais pas la sienne. C’est en réponse à cette injustice qu’est née la volonté d’une publication  à  l’occasion  de  cette  date  symbolique.  Un  hommage certes, mais un hommage pleinement chargé de dire la vie et la mémoire, l’une et l’autre toujours aussi vives. Une célébration de son Journal donc, telle qu’elle l’aurait peut-être souhaitée, par des femmes et des hommes de la sphère publique ou non, sans distinction d’âge, d’appartenance sociale ou religieuse et dont le ressenti serait aussi un témoignage pour tous les autres partis avec elle, mais sans laisser le moindre mot ni la moindre trace. »

Nous saluons et remercions les éditions Fayard de faire exister cet ouvrage polyphonique. Un livre commémore un livre.  Voici un acte de grandeur et vérité alors que tant de menaces pèsent sur ces valeurs pourtant vitales à l’humanité. C’est un signe d’espoir et de volonté. C’est aussi un regret immense qui se lève, le regret qu’Hélène Berr ait été emportée par l’histoire implacable, qu’elle n’ait pas vécu au-delà de sa jeunesse belle et courageuse. Celle-ci est éternelle, désormais.

Vincent Duclert, Après-Auschwitz, n°355-356, Juillet – Septembre / Octobre – Décembre 2020